L'espéranto
comme langue auxiliaire
internationale
Annexe 3
L'enseignement de l'espéranto
dans les écoles publiques élémentaires
d'Angleterre et du Pays
de Galles
D'après
les renseignements que possède actuellement le Ministère, l'Espéranto
est enseigné dans les écoles suivantes :
1.
— Barry, Romilly Road Boys' School.
2. — Eccles, Patricoft, Green Lane Council School.
3. — Huddersfield, Beaumont Street Boys' Council School.
4. — Leigh (Lancashire) Bedford Road Wesleyan School.
5. — Liverpool, Granton Road Boys' Council School.
6. — Worcester, St. Paul's Church of England Boys' School.
Les
inspecteurs ont visité tout spécialement les écoles 5 et 6,
et les notes qui suivent se fondent principalement sur le résultat
de ces inspections. L'école N° 2 semble être celle où l'Espéranto
ait été tout d'abord enseigné, ce sujet ayant été introduit
grâce à l'enthousiasme de quatre membres du personnel enseignant,
dès 1916. C'est une école mixte qui reçoit seulement les enfants
d'un âge relativement avancé. L'Espéranto est enseigné deux
fois par semaine à tous les enfants de l'école en deux leçons
de 45 minutes. Deux des quatre espérantistes originaires ne
font plus partie du personnel enseignant, mais les cinq autres
professeurs ont appris cette langue, ce qui rend possible l'enseignement
dans chaque classe par un professeur attitré. Les enfants de
cette école ont remporté des succès remarquables et obtenu des
prix à différents concours espérantistes.
Dans
l'école 6, l'Espéranto a été introduit à titre d'essai en 1920.
L'école est située dans un district très pauvre et l'on pensait
que l'introduction de l'Espéranto aiderait les enfants à perfectionner
leur connaissance de l'anglais en même temps qu'elle donnerait
un nouvel objet à leur activité. Tous les élèves de la classe
VI et de la classe VII étudient l'Espéranto pendant deux périodes
d'une demi-heure chacune par semaine. L'enseignement est entre
les mains d'un professeur unique, membre de la section locale
de l'Association pour l'Espéranto.
L'école
5 possédait parmi les membres de son personnel enseignant le
secrétaire de la branche locale de l'Association espérantiste.
C'est pour cette raison que cette école fut choisie dès 1920
pour y procéder à des essais sur l'enseignement de cette langue
dans l'une des écoles de Liverpool. L'Espéranto est enseigné
aux garçons dans les classes VI et VII à condition qu'ils aient
l'autorisation par écrit de leurs parents. Il y a deux classes
qui contiennent chacune de 20 à 30 élèves, et ces deux classes
sont confiées au même professeur. Le nombre des enfants qui
assistent à cette classe d'Espéranto représente environ la moitié
du nombre des élèves appartenant aux classes dans lesquelles
ils sont choisis. Il n'a pas été nécessaire d'augmenter le personnel,
car les leçons d'Espéranto ont lieu pendant que les autres élèves
sont occupés à des classes d'instruction manuelle. Dans la classe
de seconde année, cet enseignement fait l'objet de 3 leçons
d'une durée de 30 minutes chaque semaine et pour les élèves
de première année, 2 leçons de 40 minutes. La première répartition
semble la plus satisfaisante. Dans aucune de ces 3 écoles, l'introduction
de l'Espéranto n'a nécessité une augmentation de personnel.
Dans
chaque école, on emploie la méthode directe, c'est-à-dire que
le professeur fait sa classe et que les élèves répondent à des
questions en Espéranto, autant que possible. On s'occupe aussi
de lire et de traduire en anglais, de rédiger des compositions
sous forme de lettres. L'enseignement de la grammaire est secondaire
et le professeur emploie diverses méthodes intéressantes pour
animer les leçons. Le trait le plus intéressant de cet enseignement
est peut-être la correspondance en Espéranto avec les enfants
de plusieurs parties du monde. À Eccles les autorités locales
prennent à leur charge les frais de cette correspondance. À
Liverpool le prix élevé actuel des affranchissements a eu pour
résultat de réduire considérablement le nombre de lettres envoyées.
Les inspecteurs qui ont visité ces classes ont été frappés de
l'enthousiasme du professeur et des élèves. Ces derniers manifestent
clairement le plaisir qu'ils ressentent à parler rapidement
une nouvelle langue.
Toutefois,
il n'est guère prouvé que cet enthousiasme persiste lorsque
les enfants ont quitté l'école. À Eccles, le groupe local d'Espéranto
est mort faute de membres; les élèves de l'école de Green Lane
qui appartiennent à l'Association des éclaireurs, ne se présentent
pas au concours qui leur permettrait d'obtenir un insigne espérantiste,
et les quelques livrets en Espéranto de la bibliothèque publique
restent sur leurs étagères, sans qu'on y touche.
Il y a à Liverpool une classe d'Espéranto dans l'une des écoles
du soir, mais les enfants ne peuvent la suivre avant l'âge de
quinze ans. Le groupe espérantiste local a ouvert un cours qui
lui est propre et que suivent trois enfants, mais c'est un cours
destiné en premier lieu aux adultes.
Si l'on examine quelle place devrait, si l'on en jugeait ainsi,
tenir l'Espéranto dans le curriculum des écoles élémentaires,
il conviendrait de le considérer sous trois aspects :
1. En vue du professorat ou pour un but utilitaire.
2. Comme un moyen de développer l'éducation générale.
3. D'un point de vue plus spécial comme formant matière à des
études linguistiques.
1. Qu'il y ait place pour une langue universelle, spécialement
dans les échanges commerciaux, la chose est si évidente qu'il
n'y a pas besoin d'y insister. Toutefois, étant donné la nature
humaine, il serait téméraire de prédire qu'un tel langage puisse
être adopté, et plus téméraire encore de prévoir ce rôle pour
l'Espéranto.
Et pourtant l'Espéranto semble faire peu à peu son chemin.
Il a plus d'adeptes que l'Ido, son descendant et son rival.
Il est considéré avec faveur par plusieurs organismes internationaux,
et la lutte actuelle pour la paix du monde semble favorable
à son développement. Il est utilisé dans des proportions non
négligeables sur certains points du globe, notamment en Allemagne
et au Japon ; mais, en Angleterre, comme on pouvait s'y attendre,
ses progrès sont lents.
Autant qu'on peut le savoir, il n'y a à Liverpool que trois
maisons de commerce, et non des plus importantes, qui fassent
usage de l'Espéranto.
On ne saurait donc dire qu'il doive ou qu'il puisse y avoir,
dans un avenir prochain, de la part du monde des affaires, une
demande d'espérantistes telle qu'elle soit de nature à justifier
l'introduction de la langue dans les écoles, pour des raisons
d'utilité.
2. L'un des meilleurs moyens de développer la culture générale
consiste à apprendre une autre langue, surtout si en même temps
on étudie la vie et la pensée du peuple qui la parle ou qui
l'a parlée.
Les
espérantistes protestent que leur langue a sa beauté propre
capable de rivaliser avec l'italien, sinon même de le surpasser.
Il en est peut-être ainsi, mais il est également possible que
sa valeur esthétique soit en raison inverse de sa valeur commerciale.
Sa régularité, sa nature logiquement complète, son défaut d'ambiguïté
le rendent facile à apprendre et propre à l'expression des faits.
Ces qualités le rendent moins propre à exprimer les sentiments,
qu'une langue naturelle avec toutes ses irrégularités et ses
combinaisons subtiles.
On
ne saurait soutenir sérieusement qu'il ait devant lui la perspective
d'une grande littérature. Aucun grand écrivain ne l'a jusqu'ici
choisi comme moyen d'expression de ses pensées. En apprenant
l'Espéranto, dit-on, il est possible de lire dans leur traduction,
bien des livres célèbres de bien des pays. Cela pourrait être
vrai pour l'habitant d'un petit pays dont la langue n'a pas
une grande diffusion. Il est peu vraisemblable qu'un jeune Anglais
apprenne l'Espéranto afin de lire dans leur traduction des livres
qui, s'ils n'ont pas été écrits originairement en anglais, ont
dû certainement être traduits en anglais.
L'Espéranto est incapable de procurer une connaissance de la
vie et de la pensée d'un peuple particulier, d'une manière aussi
approfondie que peut le faire la propre langue de ce peuple
; mais c'est lui moyen de cultiver des amitiés en de nombreux
pays. Les enfants de l'école de Worcester ont correspondu avec
des enfants de vingt-sept pays étrangers, et la correspondance
échangée dans les deux autres écoles n'est guère moins étendue.
Cette correspondance, il est vrai, consiste surtout en un échange
de détails personnels et de cartes illustrées, mais on peut
espérer qu'elle servira au moins à inciter efficacement l'étude
de la géographie.
Elle
semble être d'une influence considérable comme excitation mentale
à apprendre ce langage, introduit comme il l'est, à une période
critique de la vie scolaire. Les professeurs ont, sans aucun
doute, tout le zèle des pionniers et les enfants apprécient
généralement la nouveauté, mais ils sont remplis de joie à l'idée
d'étaler leurs connaissances, et c'est là un contraste frappant
avec les efforts mal assurés et faits à contrecœur des enfants
de situation analogue qui ont appris le français. Il est également
significatif que deux des directeurs d'école signalent que l'Espéranto
a pour effet d'éveiller l'esprif des enfants inférieurs à la
normale. L'enfant qui a commencé de connaître d'une façon pratique
une langue et une méthode de penser différentes des siennes
propres a appris quelque chose.
3. L'Espéranto revendique une valeur particulière comme base
pour l'étude de l'anglais ou des langues étrangères.
L'Espéranto
a été introduit à titre d'expérience à l'école secondaire de
jeunes filles de Bishop Auckland et un essai a été fait pour
éprouver sa valeur comme préparation à l'étude du français ou
de l'allemand. Les résultats n'ont pas été concluants. Les jeunes
filles qui avaient appris l'Espéranto firent en français des
progrès plus rapides que celles qui n'avaient appris aucune
langue étrangère, niais le contraire se produisit dans le cas
de l'allemand. Ce résultat a peut-être été dû à la ressemblance
plus grande qu'a l'Espéranto avec le français qu'avec l'allemand,
à moins qu'il n'ait été dû à des différences de capacité entre
les diverses jeunes filles.
En tout cas, il serait douteux qu'il y ait avantage à introduire
l'Espéranto dans les écoles élémentaires pour la raison qu'il
facilite aux enfants l'étude d'autres langues.
Il n'y a relativement que peu d'enfants, dont l'éducation suivie
ait cessé à l'âge de 14 ans, qui étudient les langues étrangères,
et presque tous les enfants des trois écoles signalées ci-dessus
ont dépassé l'âge normal d'entrée à l'école secondaire. Certains
suggèrent que l'étude de l'Espéranto soit commencée dès le premier
degré (Classe I), mais la facilité que présente l'étude de cette
langue rend inutile qu'elle soit commencée aussitôt. De même,
il ne serait pas de bonne politique d'en entreprendre l'enseignement
avant l'âge de 11 ou 12 ans, pour la simple raison qu'il n'y
a qu'une petite proportion d'enfants qui vont aux écoles secondaires.
Comme
moyen d'améliorer l'étude de l'anglais dans les écoles élémentaires,
sa revendication mérite d'être sérieusement prise en considération.
Malheureusement, aucun essai systématique n'a été fait pour
s'assurer si les enfants qui ont appris l'Espéranto connaissent
effectivement mieux l'anglais que ceux qui ne l'ont pas fait,
et, dans l'affirmative, pour déterminer dans quelles mesures
et à quels égards.
Les
maîtres disent que ces enfants parlent mieux, rédigent de meilleures
compositions et sont plus aptes à comprendre les difficultés
de la grammaire anglaise. Les inspecteurs qui ont visité les
trois écoles s'accordent, en substance, à reconnaître la véracité
de cette déclaration.
En
Espéranto, il existe une lettre pour chaque son et un son pour
chaque lettre (les lettres additionnelles sont formées au moyen
de signes diacritiques). Aucun des sous ne présente de difficulté,
à l'exception peut-être du j (y) final. Nous avons ainsi quelque
chose qui n'est pas sans ressembler au système phonétique employé
par de nombreux professeurs de langues étrangères et par quelques
professeurs d'anglais. Il n'est donc pas surprenant de constater
que les enfants parlent l'Espéranto avec plus de soin qu'ils
ne parlent leur propre langue, avec plus de soin peut-être même
qu'on ne pourrait en attendre, pour la simple raison qu'ils
parlent une langue qu'ils n'ont pas été habitués, pendant de
longues années, à mal prononcer.
Bien que l'étude de cette nouvelle façon de parler soit commencée
un peu tard dans la vie, elle semble avoir quelque effet sur
l'usage qu'ils font de leur propre langue. On dit que les enfants
qui apprennent l'Espéranto améliorent leur façon d'écrire en
anglais, c'est-à-dire qu'ils s'expriment avec une plus grande
précision et une plus grande clarté. Il n'y a pas de raison
de mettre en doute la véracité de cette assertion, bien que
la preuve scientifique en soit difficile à faire.
La même revendication est faite en faveur du latin, et peut
être faite en faveur d'autres langues à un degré plus ou moins
grand. Plus une langue est précise, plus elle peut avoir de
valeur pour ceux qui ont une langue aussi imprécise que la nôtre.
La précision de l'exposé implique la connaissance précise des
mots, eux-mêmes. En apprenant l'Espéranto, l'enfant est mis
en présence d'un grand nombre de racines dont la plupart se
retrouvent en anglais, et il voit comme on peut, en partant
de ces racines, former de nouveaux mots. Il augmentera ainsi
probablement son vocabulaire, et en tout cas, l'améliorera certainement;
il peut ainsi acquérir les éléments d'une connaissance scientifique
de mots.
Enfin,
l'Espéranto est la grammaire même. Il ne comporte qu'un petit
nombre de règles, et ces règles sont sans exception. Tous les
substantifs se terminent en « o » et les adjectifs en « a »,
et chaque temps du verbe a sa propre terminaison. L'analyse
d'une langue comme celle-ci est de même nature que « l'analyse
par les couleurs », qui séduit si vivement les jeunes enfants,
et son étude, vraisemblablement, aide le novice à se guider
à travers les écueils et les sables mouvants de la grammaire
anglaise. Il a même été suggéré qu'il serait utile d'étudier
l'Espéranto comme une langue morte, simplement comme un moyen
d'apprendre la grammaire, mais ce procédé supprimerait de l'Espéranto
ce qui semble être son principal attrait pour les jeunes enfants,
la facilité avec laquelle il peut être acquis comme moyen d'expression
orale.
Pour résumer, il semble que l'Espéranto n'est qu'une faible
valeur commerciale pour le présent, une valeur appréciable pour
la culture générale, qui n'a pas été pleinement utilisée jusqu'ici,
et une extrême valeur comme moyen d'améliorer la connaissance
de l'anglais. Il séduit les enfants, même les enfants d'esprit
lent, et il peut être acquis en deux années par un enfant de
capacité moyenne d'une façon suffisante pour les besoins de
la pratique.
Dans certaines circonstances, il pourrait revendiquer d'être
adopté comme seconde langue des écoles élémentaires, mais jusqu'à
ce que son emploi dans la vie soit devenu plus général, il n'y
a lieu ni de souhaiter ni d'attendre qu'il soit enseigné dans
de nombreuses écoles. Le manque de maîtres enthousiastes et
qualifiés en cette matière serait, à lui seul, un obstacle suffisant.
On dit, par exemple, qu'à Liverpool, il n'y a pas plus de 3
ou 4 maîtres répondant à ces conditions.
Tout ceci semble justifier amplement la continuation des expériences
actuelles, et même, encourager la mise en œuvre d'autres expériences
dans les grandes villes, et spécialement dans les grands ports
de mer. |