Questions - réponses sur l'espéranto

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Réponses à quelques lieux communs ou préjugés sur l'espéranto

Quelques éléments de grammaire espéranto

Grammaire de l'espéranto

 

Et l'apprentissage précoce des langues vivantes ?

       (Comprendre "l'anglais") Oui, l'anglais, car qui peut croire sérieusement que l'on va avoir les moyens de proposer un large choix de langues en initiation à l'école primaire ? On l'a promis, certes, mais pour l'instant, on fait venir d'Angleterre un assistant, ou un intervenant extérieur (comprendre une maman d'élève anglophone) pour initier précocement à l'anglais. Dans le meilleur des cas, on proposera (dans les bonnes années fastes) de l'allemand.

       D'ailleurs, tant que le système sera ce qu'il est, la majorité des parents eux-mêmes ne demanderont-ils pas l'anglais, sachant ce qu'il en est dans les institutions ? C'est ce qui se passe au collège, aucune raison que cela change en introduisant une initiation "au choix" au primaire.

       Extrait de "Le Monde de l'Éducation", février 2005, n° 333, article signé Julie Chupin :

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       (…) Ainsi les langues vivantes sont-elles désormais dans le primaire une discipline à part entière avec un horaire dédié (une heure et demie par semaine) et des programmes adaptés.

       Ces mesures seront-elles suffisantes pour élever le niveau ? S'il est encore un peu tôt pour tirer un bilan définitif, on peut tout de même se référer à la seule étude d'envergure réalisée à ce jour quant aux bénéfices - nuls, voire négatifs - de l'enseignement des langues vivantes à l'école élémentaire sur les résultats en anglais d'élèves de 6e et de 5e. Mais, selon Francis Goullier, inspecteur général de l'éducation nationale en charge du dossier langues vi-vantes au ministère Lang, ces résultats en berne ne doivent pas condamner l'apprentissage précoce des langues et servent au contraire de révélateurs des difficultés propres à cet enseignement.

       Au premier chef, l'absence de continuité entre le primaire et le collège et l'insuffisante formation des enseignants.

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       Commentaire :

       Admirons la rigueur scientifique : une des rares études conduites sur le sujet a conclu à l'inefficacité de l'apprentissage précoce des langues - voire à sa nocivité - et quelles leçons en tirent nos inspecteurs généraux, nos pédagogues ? Même pas qu'il faut lancer d'autres études pour vérifier ce résultat inattendu, mais plutôt que l'étude confirme le contraire de ce qu'elle prouve !

       Les enseignants apprécieront également au passage le sempiternel cliché de leur insuffisante formation (autre nom de leur incompétence supposée).

       Extraits du site Internet de la Commission européenne des langues, sur le site de la même Commission européenne (chercher Eurobaromètre - rapports spéciaux - langues).

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Premier extrait :

Apprentissage des langues dès le plus jeune âge

       Actuellement, dans la plupart des pays, au moins la moitié des élèves de l’enseignement primaire apprennent une langue étrangère. Toutefois, comme la Commission l’a souligné précédemment, l'apprentissage des langues dès le plus
jeune âge n’est profitable que lorsque les enseignants ont été spécialement formés à l’enseignement des langues à de très jeunes enfants, que le nombre d’élèves par classe est suffisamment faible, que le matériel pédagogique adapté est disponible et que le programme scolaire prévoit une plage horaire suffisante pour les langues.

Deuxième extrait :

Enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère

       Une récente conférence organisée par la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne a porté sur l’évolution de l’enseignement d’une matière par l’intégration d’une langue étrangère (EMILE), dans lequel les élèves apprennent une matière au moyen d’une langue étrangère. Cette méthode est de plus en plus utilisée en Europe et offre, dans le cadre du programme scolaire, des possibilités accrues d’exposition aux langues étrangères.

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       Extrait du sérieux site québécois MEF (Mouvement Estrien pour le Français)

       Article intitulé "L'apprentissage de l'anglais au primaire ou l'éducation bilingue précoce", par le professeur Gilles Bibeau, docteur en linguistique, Université de Montréal, le 17 mars 2001 :

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       Personne ne doute, évidemment, de l'intérêt de la nécessité même d'enseigner l'anglais dans les écoles québécoises et d'essayer d'atteindre des objectifs linguistiques suffisants avant que les élèves ne sortent de l'école secondaire. Mais il ne faut pas tomber dans les stéréotypes sociolinguistiques faciles, surtout lorsqu'ils sont contredits par les recherches. Comme aurait dit Galilée, ce n'est pas parce que notre perception immédiate nous fait penser que les plus jeunes apprennent mieux l'anglais à l'école que cela est vrai, surtout lorsqu'on a démontré le contraire.

       Il ne faut surtout pas fermer les yeux sur les dimensions socio-culturelles du contact langue maternelle / langue seconde impliquées dans l'apprentissage de la langue seconde. L'idée magnifique d'un programme d'éveil aux langues et aux cultures, à placer avant le programme d'enseignement formel de la langue seconde, mérite certainement considération, à plus forte raison dans un État où la perspective culturelle n'est pas encore totalement acquise.

       Références générales
       Bibeau, G. (1982) L'éducation bilingue en Amérique du Nord, culturels et apprentissage des langues, Commission française pour l'UNESCO.
       Dabène, L. (1991), «Enseignement précoce d'une langue ou éveil au langage?», Revue Le français dans le monde.
       Gardner, R.C. (1985) Social Psychology ans Second Language Learning : The Role of Attitudes and Motivation, London, Edward Arnold.
       Harley, B. (1986) Age in Second Language Acquisition, Multilingual Matters Ltd.

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       Article de Jacques Poisson, Président du Mouvement estrien pour le français, 30 juillet 2003 : "L'anglais intensif au primaire" (extrait)

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       (…) Le Mouvement estrien pour le français réitère sa demande au ministre de l'Éducation du Québec pour qu'il décrète un moratoire sur cette amputation du français au primaire. S'inspirant des autres pays comme la Suisse et aussi la Grande-Bretagne (qui, pendant 10 ans, a mené, auprès de 18 000 élèves, une vaste étude sur l'apprentissage précoce de la langue seconde - le français - dans une contexte majoritaire en plus, et dont le rapport- choc produit par la National Foundation for Education Research in England and Wales, sous la responsabilité de Stern, Burstall et Harley, montre qu'il est inutile et contre-indiqué d'apprendre une langue seconde au primaire) qu'il commande une étude exhaustive et crédible sur l'enseignement de l'anglais au Québec, particulièrement dans nos écoles primaires. En raison de notre contexte minoritaire, il serait sans doute important d'en déterminer les impacts sur la qualité de la langue maternelle utilisée par les élèves et sur la perception générale qu'ils ont de leur langue.

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       Deux autres extraits du site de la Commission européenne, sans rapport direct avec l'apprentissage précoce, mais qui sont savoureux (plus détaillés dans notre chapitre "Multilinguisme") :

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Premier extrait :

Langues dans l’enseignement supérieur

       Les établissements d’enseignement supérieur pourraient jouer un rôle plus actif dans la promotion du multilinguisme auprès des étudiants et du personnel, mais aussi au sein de la communauté locale au sens large. Il convient d’admettre que la tendance, dans les pays non anglophones, à enseigner en anglais au lieu de la langue nationale ou régionale peut avoir des conséquences imprévues pour la vitalité de ces langues.
       
La Commission prévoit prochainement une étude plus approfondie de ce phénomène.        http://www.eu.int/comm/education/policies/lang/doc/com596_fr.pdf (page 7)

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       (Nota : la Commission lance un avertissement (certes peu explicite) contre les dangers des méthodes qu'elle encourage ! Dangers que constate déjà la Norvège où l'enseignement de certaines matières scientifiques en anglais fait progressivement perdre la terminologie de ces disciplines, faute d'être actualisée en permanence dans leur propre langue.)

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Deuxième extrait :

Indicateur européen des compétences linguistiques

       Les travaux sur l’indicateur européen des compétences linguistiques, qui a fait l’objet d’une communication récente, ont déjà bien progressé ; ils rassembleront des données fiables sur les compétences actuelles en langues étrangères des jeunes et fourniront des informations extrêmement utiles aux responsables politiques.

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       Commentaire :
       La communication récente dont il est ici question renvoie à une "étude" d'Eurobaromètre qui n'est autre qu'un sondage ! Toutes les télés ainsi que les plus grands journaux en ont repris les conclusions, lesquelles sont simplement basées sur des questions, sans définition préalable de critères de niveau de langue, sans tests de compétence. On demande à des gens, des échantillons représentatifs, s'ils maîtrisent une deuxième langue ou s'ils peuvent soutenir une conversation, sans plus de précision. S'agissait-il d'acheter du pain, de demander des nouvelles de la santé, on ne le saura pas.

       A noter que plus les habitants d'un pays sont modestes, plus leurs résultats linguistiques seront mauvais, puisqu'ils n'oseront pas prétendre maîtriser une langue étrangère !

       Cela vous paraît trop absurde pour être vrai ? Nous exagérons par pure propagande, nous déformons les faits, nous faisons de la manipulation ? Du tout : c'est Eurobaromètre lui-même qui le dit, sur le site de la même Commission européenne (chercher Eurobaromètre - rapports spéciaux langues).

       Voici des extraits d'Eurobaromètre (surlignés en gras par nous-même) :

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EUROBAROMETRE
« NOTE SPECIALE LES EUROPEENS ET LES LANGUES »
SPÉCIFICATIONS TECHNIQUES

       Entre le 9 mai et le 14 juin 2005, TNS Opinion & Social, un consortium créé entre Taylor Nelson Sofres et EOS Gallup Europe, a réalisé la vague 63.4 de l'EUROBAROMETRE à la demande de la COMMISSION EUROPÉENNE, Direction Générale Presse et communication, Secteur Opinion publique. Dans le cadre de cette vague, des questions sur les compétences linguistiques des européens ont été posées.

(…)

2. AUTRES LANGUES CONNUES

       La moitié des citoyens des États membres affirment qu’outre leur langue maternelle, ils parlent au moins une autre langue suffisamment bien pour participer à une conversation. Cette proportion a augmenté de 3 points par rapport aux résultats obtenus en 2001 pour l’UE15 (EB 51.1), mais les pourcentages varient largement d’un pays à l’autre.

Extraits d'un récent rapport officiel européen (2006)
http://europa.eu.int/comm/education/policies/lang/key/foreign_fr.html

       Nous avons surligné certains passages en gras, car ils contredisent l'enthousiasme officiel pour l'apprentissage précoce des langues.

       L'étude intitulée "L’enseignement « précoce » : quels résultats, dans quelles conditions ?" et publiée en anglais, en français et en allemand, a été réalisée dans le cadre d'un projet financé par le volet LINGUA du programme SOCRATES de l'Union européenne. Les travaux ont été menés par les six chercheurs suivants : Christiane Blondin (Liège, Belgique), Michel Candelier (Paris, France), Peter Edelenbos (Groningue, Pays-Bas), Richard Johnstone (Stirling, Écosse), Angelika Kubanek-German (Eichstätt, Allemagne) et Traute Taeschner (Rome, Italie).

       Selon les conclusions de ces recherches, l'apprentissage précoce des langues peut avoir un effet très positif sur les élèves, en termes de compétences linguistiques, d'attitudes positives à l'égard d'autres langues et cultures et sur le plan de la confiance en soi. Toutefois, le fait de commencer tôt ne garantit pas de meilleurs résultats qu'un apprentissage plus tardif. Pour que l'expérience soit couronnée de succès, certaines conditions doivent être réunies tant au niveau de la pédagogie et que des ressources. A cet égard, le groupe a formulé les recommandations suivantes.

(....)

       Les parents devraient apporter leur concours lors de l'introduction de l'apprentissage des langues à l'école primaire, et le choix des langues à apprendre devrait leur être expliqué, notamment s'il s'agit de langues de moindre diffusion. Les parents doivent bien saisir les objectifs, afin de créer un climat motivant pour les élèves en dehors de l'école.

(...)

       Il est indispensable, étant donné la fragilité de l'acquisition du langage chez les enfants et la difficulté de le transférer entre les différents contextes, d'assurer une continuité pédagogique entre les secteurs préprimaire, primaire et secondaire.

(...)

       De courtes leçons quotidiennes sont préférables à une ou deux longues leçons hebdomadaires. Néanmoins, un horaire amélioré ne suffit pas pour garantir des résultats.

(...)

       La recherche est indispensable pour mettre au point des méthodes d'apprentissage précoce des langues destinées à encourager les élèves en difficulté scolaire et/ou qui viennent de milieux socialement défavorisés.

(...)

       L'innovation dans l'enseignement des langues étrangères chez les enfants ne devrait pas consister uniquement à abaisser l'âge auquel ils peuvent débuter. Des méthodes appropriées et spécifiques doivent être mises au point pour chaque tranche d'âge concernée.

(...)

       Il a été démontré que si certaines précautions ne sont pas prises, l'apprentissage précoce des langues étrangères peut nuire à la diversité. Bien qu'il soit souhaitable de proposer aux parents ou aux écoles un choix de langues au niveau primaire, la diversité n'est pas garantie, notamment si la continuité dans la langue choisie doit être maintenue au niveau secondaire. Il se peut que les enseignants de langues de moindre diffusion ne soient pas toujours disponibles à la fois pour les niveaux primaire et secondaire. En tout état de cause, les écoles et/ou les parents peuvent insister sur l'importance des langues "internationales". Une solution peut consister à sensibiliser les jeunes enfants à la diversité linguistique, au lieu de se fixer sur une seule langue. Il conviendrait de favoriser les langues étrangères parlées localement ou dans les régions voisines.

(...)

       L'apprentissage précoce des langues est, sur le plan éducatif, une entreprise inestimable. Néanmoins, s'il est mis en œuvre, dans l'enseignement primaire et préprimaire, sans les ressources et la planification nécessaires pour remplir les conditions précitées, l'expérience peut être vouée à l'échec. De piètres résultats peuvent être source de désillusion envers l'idée même de l'apprentissage précoce des langues.

(Fin de l'extrait)

       Commentaire :

       Au vu de toutes ces mises en garde, il nous paraît étonnant qu'on puisse qualifier ce rapport de favorable à l'apprentissage précoce des langues ! Il mérite le prix Nobel de l'ambiguïté...

       C'est pourtant ce qu'en déduit la Commission européenne des langues.

       Rappelons qu'il n'y a pas à l'heure actuelle une seule étude scientifique qui ait montré un avantage de l'apprentissage précoce des langues. Les rares études menées ont au contraire pointé des inconvénients possibles quant à l'acquisition de la langue maternelle.

       S'il est probable qu'une initiation linguistique précoce à la diversité des langues, c'est-à-dire initialement l'apprentissage de divers alphabets, permette d'apprendre à reconnaître et à reproduire des sons, des phonèmes qu'il sera plus difficile d'apprendre plus tard, rien n'indique quelque avantage à se spécialiser jeune dans une ou deux langues, surtout de façon intensive.

       Prenons une analogie : en science ou en sport, par exemple, on ne commence jamais par se spécialiser, au contraire : le professeur de sport initie les enfants à divers sports très différents, sports de balle ou gymnastique, individuels ou collectifs, etc., libre à chacun par la suite de se perfectionner dans tel ou tel sport, selon ses goûts et ses objectifs. Pourquoi ne pas faire de même en langue, une initiation large mais non spécialisée, suivie ultérieurement au collège de modules au choix ? Pourquoi imposer arbitrairement, par exemple, l'allemand à la maternelle (expérience récente à Montpellier, Le Monde de l'éducation, 06/06) ?

       Chacun connaît des exemples de bilinguisme jeune et heureux, de familles avec deux langues à la maison outre la langue du pays. Mais le battage médiatique ahurissant fait à l'apprentissage précoce des langues, sur la chance que cela représente, ce battage qui découle probablement en cascade de l'opinion de la Commission européenne des langues, empêche des témoignages contradictoires de remonter au grand jour.

       Nous avons eu directement connaissance des cas où ça s'est moins bien passé, mais comment pourraient-ils oser le dire quand tous répètent "quelle chance vous avez" ? Quand les journalistes eux-mêmes ne recherchent que des témoignages allant dans le même sens ?

       Par exemple, si un enfant très jeune vient montrer à sa mère le beau dessin qu'il a fait à l'école maternelle, et qu'en retour celle-ci le complimente affectueusement, mais en lui demandant de répéter la même chose dans sa langue à elle, l'enfant sera surpris et déçu. Si la scène se reproduit souvent, la mère pensant bien faire pour l'encourager à apprendre jeune cette langue, l'enfant progressivement risque de moins venir chercher ses encouragements, voire se replier sur lui-même.

       Parallèlement, le risque est notable que la mère (ou le père), si l'enfant réagit mal, se sente elle aussi rejetée par cet enfant qui lui paraît rejeter (mépriser, se demande-t-elle) sa langue maternelle à elle, sa culture. Pour l'enfant jeune, cette culture ne représente rien de concret, de pratique, rien de son environnement. S'il consent à le faire, c'est pour faire plaisir à sa mère, laquelle semble vouloir qu'il s'y intéresse, mais à un âge où des millions d'apprentissages le sollicitent quotidiennement et lui paraissent plus directement utiles, ce n'est pas évident.

       C'est en tout cas moins évident que les reportages enthousiastes semblent le dire, à preuve ce récent rapport qui multiplie les circonlocutions et les précautions de style.