Et le basic
english, le globish ?
C'est un anglais presque aussi irrégulier avec un vocabulaire volontairement limité, donc peu évolutif, tout en ayant les mêmes contraintes. En fait, c'est davantage un concept, un habillage de la réalité pour masquer le très faible niveau mondial moyen en anglais, prétendument langue internationale.
Cette idée est née également des difficultés actuelles de l'anglais, de sa diversité grandissante (l'anglais-américain, l'afroanglais, l'indoanglais etc.)
Signe des temps: la polémique
en Angleterre suite aux consignes officielles de tolérer
chez les écoliers une moins bonne maîtrise de l'anglais
classique (cf. The
Telegraph du 15.05.2005)
Quant au
globish... étant un mot anglais, nous en proposons ici une traduction,
dans un souci légitime de la défense du français. "Globish"
= "petit-blanc".
Rappelons que
jadis la colonisation française avait eu comme conséquence linguistique
l'usage plus large d'un français appauvri et simplifié, surnommé
avec un zeste de mépris colonial le "petit-nègre".
L'expression est aujourd'hui disparue, faute d'être politiquement
correcte, mais les mêmes causes produisant les mêmes effets,
voici que les nouveaux coloniaux ont généreusement mis au point
un anglais abâtardi destiné aux 95 % habitants non-anglophones
de la planète, ainsi qu'aux quelques pour-cent de non-fluents
(ou dit-on influents ?) qui se font des illusions sur leur niveau
réel.
Aussi, "parler
globish" peut se traduire par "parler petit-blanc"
!
- Do you understand
globish ? (Toi comprendre le petit-blanc ?)
- Yes, Sir.
(Oui, patron.)
- I buy petrol.
I give you beautiful things, many. (Moi acheter pétrole. Moi
donner toi beaucoup jolis colliers.)
- I see. (Toi
montrer.)
(Nota : en petit-blanc, on agite les doigts pour préciser sa
pensée.)
- Look ! (Ca
brille, pas vrai ? T'as jamais vu des trucs pareils, je parie.)
- Bullshit
! (Bof, j'aime pas.) You want to screw me ? (Tu veux m'entuber
?) I want dollars, plenty. (Je veux de la thune, un max.)
Moralité :
la colonisation n'est plus ce qu'elle était.
Et voici une
lettre de Claude Piron au sujet du globish :
***
On parle de
plus en plus du globish, généralement en termes positifs. Il
est vrai que cette façon décomplexée de pratiquer un anglais
rudimentaire peut rendre bien des services. Depuis une intéressante
conversation téléphonique que j'ai eue avec M. Nerrière, début
août 2004, je m'y suis essayé.
Mais, comme
on ne connaît la valeur d'une chose que si on la rapporte à
une référence, je l'ai comparé à l'espéranto. Ma conclusion
est la suivante: le globish est certes utilisable, mais c'est
un pis-aller qui est loin de donner vraiment satisfaction.
Il serait acceptable
faute de mieux. Mais, précisément, il y a mieux: l'espéranto,
qui avec un effort nettement moindre assure un niveau de communication
bien plus satisfaisant. Le mouvement qui mène au globish est
un mouvement descendant: il va d'une langue riche à une langue
pauvre parce qu'il y a eu échec, parce que la langue riche s'est
révélée impossible à maîtriser. L'espéranto suit, lui, un mouvement
ascendant, à deux titres:
1) l'élève
voit son vocabulaire se développer sans gros efforts grâce à
un système multiplicateur très simple, mais à grand rendement,
2) son usage
de plus en plus répandu parmi les peuples les plus divers ne
cesse de l'enrichir en le rendant plus expressif, plus performant,
sans rien lui faire perdre de sa simplicité initiale.
Si on l'observe
dans les situations réelles, on voit qu'il remplit sa fonction
de truchement bien mieux que le globish ou que les autres formes
de "broken English". En outre, à la différence du
globish, c'est une langue à part entière, dans laquelle on peut
lire la Charte des Nations Unies, Hamlet, la Monadologie
de Leibniz, Meurtre dans l'Orient-Express d'Agatha Christie,
une abondante production poétique et des dizaines de milliers
d'autres ouvres dont Tintin, Astérix et même, depuis peu, Gaston
la Gaffe.
Le globish
n'est pas une langue. Il est impossible de tout exprimer avec
ses 1500 mots. Par exemple, les mots nécessaires pour dire "Garçon,
une salade de tomates!" ne figurent pas dans la liste.
"Expliquez-vous par gestes", dit M. Nerrière. Comment
allez-vous mimer "salade" et "tomate" de
manière à éviter toute confusion? De même, si l'on peut dire
"je t'aime" (mais pas "tu m'aimes", me
ne fait pas partie des 1500 élus), on ne peut pas dire "Ah!
ce parfum de rose que dégage ta peau! Il me fait trembler comme
un palmier sous le sirocco."
Bref, en globish
on se débrouille, en espéranto on s'exprime. Or, maîtriser l'espéranto
demande beaucoup, beaucoup moins de temps et d'effort.
Il se compose
en effet d'éléments que l'on combine sans aucune limitation.
Dès qu'on a appris une racine, on peut l'utiliser sous forme
verbale, substantive, adjective ou adverbiale, et les affixes
qui permettent de la moduler décuplent le lexique. Le globish,
lui, ne comporte aucun système de dérivation. Sa liste comprend,
par exemple, decide, mais pas decision, beautiful
mais pas beauty, administer mais ni administrative
ni administration, aggression mais ni aggress
ni aggressive. En espéranto, dès qu'on a appris decidi
'décider', on forme soi-même decido 'décision', decida
'décisif', decide 'de façon décisive' et, avec le suffixe
ema, par exemple, decidema 'qui n'a aucune
peine à prendre une décision', 'résolu'. Un tout petit peu de
pratique et ces formations se font par réflexe.
Pour rendre
les notions qu'expriment les 1500 mots du globish, il suffit
de 1300 mots d'espéranto, plus une quarantaine de suffixes et
préfixes, donc 1340 unités à mémoriser, qui permettent de former
sans difficulté quelque 13.000 mots (or, on estime à 8000 le
nombre de mots nécessaires à la vie quotidienne). La régularité
de l'espéranto représente une énorme économie par rapport au
globish. Considérez les couples suivants create/creation
= krei/kreo; ask/question = demandi/demando ; live/life
= vivi/vivo ; remember/memory = memori/memoro ; think/thought
= pensi/penso. En globish il faut mémoriser chaque fois deux
mots, en espéranto une racine et le sens des terminaisons -i
et -o. Et il suffit d'apprendre la terminaison -a
pour ajouter à son vocabulaire, sans effort, toutes sortes de
mots qu'ignore le globish: demanda "interrogatif",
memora "mnésique", pensa "relatif
à la pensée" ("pensif" se dit pensema).
Pas étonnant, dès lors, qu'on ait plus d'aisance en espéranto
au bout de six mois qu'en anglais au bout de six ans, qu'en
globish au bout de... ? Qui pourrait le dire? Sans doute au
minimum quatre ou cinq ans d'anglais puis quelques semaines
d'entraînement à l'art de surmonter ses complexes et à la mémorisation
de tous les mots anglais qu'il faut oublier pour rester dans
les limites prévues.
La comparaison
est d'autant plus défavorable au globish qu'il reprend les aberrations
de la langue de Shakespeare, dont l'incroyable décalage entre
orthographe et prononciation : ou exprime quatre sons
différents dans touch, through, though
et thought ! En espéranto, le son /ou/ s'écrit toujours
u et la lettre u se prononce toujours /ou/.
En espéranto, l'accent tonique ne pose aucun problème: il est
toujours sur l'avant-dernière syllabe. En globish, il faut l'apprendre
avec chaque mot. On peut accepter le globish comme solution
provisoire, fondée sur le constat déprimant que l'anglais ne
répond pas aux attentes qu'il suscite. Mais il faut être masochiste
pour choisir une solution dépressive quand il existe une solution
enthousiasmante. A terme le monde a besoin d'une langue qui
réponde aux exigences de la formulation scientifique, juridique
et littéraire et qui mette les partenaires sur un pied d'égalité.
L'espéranto
répond parfaitement à ces critères. De plus, et ce n'est pas
moins important, il se prête admirablement à l'humour. La liberté
de combiner les éléments débouche souvent sur des mots particulièrement
expressifs, comme kisema 'goulu sur le plan du baiser'
(de kis-, 'embrasser') ou poŝtelefonema 'qui
est tout le temps en train d'utiliser son téléphone portable'.
Très présent sur Internet, il compte des locuteurs dans de nombreuses
localités de plus de cent pays, ce qui assure partout des contacts
sans problème de communication, et la diffusion de la langue
se poursuit, tranquillement, lentement, ignorée des médias,
mais très réelle pour quiconque suit les choses de près.
L'espéranto
a aussi pour lui la rationalité économique. Mandaté par un organisme
relevant de l'Éducation nationale, l'économiste François Grin
a conclu de ses recherches que si l'Europe adoptait l'espéranto,
cela représenterait une économie de 25 milliards d'euros par
an (http://cisad.adc.education.fr/hcee/documents/rapport_Grin.pdf,
p. 7).
Il n'y a pas
à dire, le globish ne fait pas le poids. Il serait dans l'intérêt
de tous, et notamment des contribuables et des cadres de PME,
que les gouvernements, les élites et les médias procèdent enfin
à une réflexion sérieuse sur les moyens opposés à la barrière
des langues. Et que, après une étude comparative objective,
ils recommandent l'option la plus avantageuse pour tous. Si
l'espéranto était enseigné à l'école primaire - un cours de
six mois suffirait le plus souvent -, les élèves auraient toutes
les études secondaires pour apprendre une ou plusieurs autres
langues: anglais, espagnol, arabe, hébreu, russe, allemand,
chinois., non plus dans le but illusoire de résoudre les problèmes
de communication mondiale, mais pour leur enrichissement culturel
ou la redécouverte de leurs racines. L'éradication de la variole
a montré que quand il y avait volonté politique, les États savaient
coordonner leurs activités pour obtenir rapidement le résultat
recherché. Ce serait parfaitement possible dans le domaine de
la communication linguistique. Mais il faudrait qu'ils commencent
par se laisser guider par l'esprit démocratique, c'est-à-dire
qu'ils accordent au bien de tous la place qu'il mérite et qu'ils
se fondent, non sur des préjugés, des on-dit ou des modes, mais
sur une information objective.
Claude Piron,
auteur de l'ouvrage Le
défi des langues (L'Harmattan, 2e éd. 2001), 22 rue
de l' Etraz, CH-1196 Gland, Suisse. (Voir également: "Communication
linguistique -Étude comparative faite sur le terrain").
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