Une langue
ne sert pas seulement à communiquer
Certes, chacun est
libre de l’utiliser comme il veut, avec qui il veut !
Mais je crois que cette critique
sous-entend plutôt que la langue est l’âme
d’un pays, sa culture, son essence, et le véhicule
de la pensée.
Pourtant, nombre d’activités
intellectuelles se passent de la langue : un
musicien pense en notes ou directement en sons,
un dessinateur, un peintre peuvent penser en
images, un mathématicien, un chimiste,
un physicien peuvent penser en équations,
en symboles, un chorégraphe ou un danseur
peuvent se représenter visuellement le
mouvement des corps etc.
A notre avis, le rôle premier
de la langue est tout de même de transmettre,
d’échanger, c’est ce qui a permis à
l’Homme de transmettre ses fragiles connaissances,
échappant ainsi progressivement à
la lente et pénible méthode des
essais et des erreurs qu’il faudrait répéter
à chaque génération ("nous
sommes des nains perchés sur les épaules
de géants").
Quant aux domaines intellectuels
pour lesquels la langue est indispensable, les
individus qui pensent dans une langue étrangère
sont très rares. Pour la plupart, nous
pensons (quand ça nous arrive !) dans
notre propre langue.
Nous avons vu que le noble motif
de "découvrir l’âme d’un pays,
d’une culture" est dévoyé
par le faible niveau atteint, est hypocrite
par l’injustice du choix des langues à
l’école (l’anglais écrasant tout,
alors qu’il n’est qu’une langue parmi 6000 autres),
est hypocrite aussi parce que le peu que nous
savons des autres cultures, nous le devons aux
traductions. (Excepté les très
rares polyglottes à même de savourer
un texte dans une autre langue, et plus rares
encore, ceux capables de réaliser ce
tour de force dans plusieurs langues étrangères.)
C’est l’enracinement profond de
la langue natale en nous, son lien émotionnel
si fort avec l’enfance (langue maternelle) qui
pousse parfois à rejeter avec tant de
virulence et de passion l’idée même
d’une langue de communication, d’une langue-outil.
Plus que l’âme d’un pays, c’est celle
de chaque personne qui est étroitement
liée à sa langue maternelle.
C’est ce qui nous pousse à
privilégier le multilinguisme pour tous,
comme s’il était aussi facile d’apprendre
des langues que de ramasser un caillou, puis
un autre, puis un troisième, en oubliant
que nous avons passé quelques quinze
à vingt ans à nous perfectionner
dans notre langue natale, à raison de
huit heures par jour d’immersion linguistique
totale et de répétition des innombrables
irrégularités dont sont truffées
les langues nationales.
Comment espérer arriver
à un bon niveau dans trois ou quatre
langues, comme les tenants du multilinguisme
le proposent ?
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