Questions - réponses sur l'espéranto

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Réponses à quelques lieux communs ou préjugés sur l'espéranto

Quelques éléments de grammaire espéranto

Grammaire de l'espéranto

 

C'est une langue sans culture, sans argot, sans gros mots,
on ne peut pas plaisanter en espéranto

       Ce cliché d'une langue sans culture revient souvent, avec la conviction affirmée que donne un rejet absolu, viscéral, bref - une attitude passionnelle, plus névrotique que raisonnée.

       Quelle autre langue peut provoquer de telles réactions ?

       Même si c'était le cas, où serait le problème ?

       Chaque pays, chaque région même, a sa culture, et on l'apprécie mieux par des traductions, sauf à maîtriser parfaitement ladite langue. Mais qui a vraiment lu Shakespeare ou Lewis Carroll en anglais, Le désert des Tartares en Italien, Pouchkine en russe, Don Quichotte en espagnol etc. ? Combien d'entre nous regarderaient les films en VO s'ils n'étaient pas sous-titrés ? Le peu de connaissances qu'un lycéen a sur les cultures étrangères au sortir de ses études lui vient essentiellement des traductions, malgré les efforts des profs de langue.

       "Si l'apprentissage des langues étrangères est poussé à fond de manière à profiter à l'esprit, il demande un temps immense. S'il est superficiel, il n'apporte rien à la culture intellectuelle."
       (Antoine Meillet)

       De plus, cet argument - défendable au début du 20e siècle - est maintenant faux : traductions, livres originaux, poèmes (à ce sujet, la souplesse de l'espéranto en fait un très bon outil de traduction des poèmes, souvent plus difficiles à rendre en raison des contraintes de rime ou de longueur), chansons, disques, rencontres, forums, radios. Si une langue vit, elle a ipso facto une culture.

       Ci-dessous, extrait d'un article de Claude Piron :

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       "A plusieurs reprises, l'Assemblée nationale française a été saisie de propositions de loi visant à inclure l'espéranto parmi les langues étrangères enseignées au niveau secondaire, au même titre que des langues telles que l'arabe, le breton, le néerlandais, le polonais ou l'occitan. La réponse du ministère a chaque fois été la même : l'espéranto n'a pas sa place dans l'enseignement des langues, parce que cet enseignement "comprend l'accès à une culture, et, pour les langues étrangères, à une civilisation" (réponse n° 8531 du 8 février 1982 du Ministre de l'éducation nationale à M. le Député Philippe Marchand). Cette réponse, qui semble satisfaire presque tout le monde, relève en fait de l'idéalisation. Comment les élèves pourraient-ils accéder à une culture ou à une civilisation puisqu'au niveau du baccalauréat, un enfant sur cent seulement parvient à s'exprimer correctement dans la langue étrangère apprise tout au long de sa scolarité."

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       Au demeurant, si ce sont des considérations d'ordre culturel qui régissent l'enseignement des langues, comment expliquer la répartition des choix des élèves ? En France, 80 % "choisissent" l'anglais, 16 % l'allemand, 3 % l'espagnol et moins de 1 % une des autres langues. La culture anglo-saxonne présente-t-elle un intérêt supérieur aux autres dans une telle proportion ? Il n'y a aucun parallélisme entre la place respective des cultures dans la civilisation humaine et leur place, en France, dans l'enseignement des langues.

       La vérité est que si l'anglais est si souvent enseigné, c'est parce que les parents le demandent. Mais ils ne le demandent pas par attachement à la culture anglo-saxonne. Ils le demandent parce qu'ils veulent doter leurs enfants d'un moyen de réussir dans la vie et que l'anglais leur paraît en augmenter les chances.

       L'accès à une culture ou à une civilisation étrangère ne se produit pratiquement qu'au niveau universitaire, essentiellement pour ceux qui feront des études de lettres ou de langues. L'argument du ministère ne tient aucun compte des faits (la connaissance des cultures étrangères est plus poussée dans un échantillon d'espérantophones que dans un échantillon aléatoire de population de même niveau d'instruction), mais relève de ce mécanisme de défense qu'on appelle idéalisation. La réalité de l'enseignement des langues y est remplacée par une vision idéale ou idéologique, sans rapport avec la réalité.

       Si par culture on entend les idiotismes, les exceptions et tous les particularismes d'une langue, certes il y en a très peu.

       Que "bord de mer" rappelle davantage que marbordo ses vacances à la mer à un Français, rien de plus naturel, l'espéranto ne veut nullement modifier la madeleine de Proust dans le français (qui pourtant a lui-même réalisé une réforme de l'orthographe, après des débats passionnés).

       De plus, l’idéologie officielle de l’Education nationale, quoi qu'elle en dise, ne nie pas la possibilité d’une langue de communication. La preuve en est que ses pédagogues eux-mêmes débattent du degré respectif de communication et de culture qui serait souhaitable dans l’enseignement des langues vivantes.

       Extrait de « Le Monde de l’Education » N°311, février 2003, article signé Maryline Baumard :

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       (…) Un exemple : «Les anglicistes, qui partent de l'idée que leur langue est d'abord langue de communication internationale, vont adopter la méthodologie audiovisuelle, qu'ils trouvent parfaitement adaptée à leurs besoins de faire parler», explique Christian Puren.

       Comme sur un puzzle géant, la modification d'une pièce se répercute sur ses voisines. «Les germanistes sont à l'époque en rivalité avec les anglicistes sur la première langue, ils adoptent donc la même stratégie et se positionnent, eux aussi, comme langue de communication. Conséquence : ils s'ouvrent en même temps à la nouvelle méthode... mais en tentant de maintenir aussi un enseignement très grammaticalisé de cette langue réputée "formatrice" parce que difficile», ajoute le même linguiste. Autant dire que, dans cette approche double, la culture fait un peu figure de cerise sur le gâteau !

       Aujourd'hui la situation a un peu changé. L'urgence créée par la baisse des effectifs - seuls 8 % des élèves étudient encore l'allemand en première langue - a conduit les enseignants à un nouveau positionnement. Peu à peu, donc, l'allemand a encore glissé un peu plus sur le créneau de langue comnunicationnelle. Langue d'échange, centrale dans une Europe où l'Allemagne tenait, il n'y a encore pas si longtemps, la dragée haute à ses voisins en matière économique! «L'inspection générale a poussé dans ce sens dans les années 1996-1997 et a été largement relayée par un auditoire enseignant qui cherchait une nouvelle approche susceptible de captiver un nouveau public», rappelle le professeur Christian Puren.

L'espagnol, langue de culture

       Plus serein parce qu'il n'est pas menacé par d'autres langues, bien qu'il n'arrive souvent qu'en LV3, l'italien continue son bonhomme de chemin sans révolution, jouant depuis des décennies un savant équilibre entre langue de communication et accès à la culture. Le cas de l'espagnol est encore un peu différent. «Comme il n'a pas l'ambition de rivaliser avec l'anglais en LV1, il joue la carte LV2 et s'est niché très tôt dans le créneau restant, celui de la langue de culture», commente Denis Rodriguès, membre du groupe d'experts de cette langue au ministère et universitaire. D'où la généralisation, dans les instructions officielles d'espagnol ou les manuels d'espagnol des années I960, d'une approche culturelle nourrie dès les premières heures d'enseignement de textes littéraires ou de tableaux.

       Bien campées, ces identités disciplinaires n'ont fait que s'exacerber au fil des ans. «Les anglicistes ont peu à peu sacrifié les contenus culturels à un enseignement de cette langue de communication, quand les hispaniques ont sacrifié à l'inverse l'enseignement de la langue de communication quotidienne à des contenus culturels riches et spécifiques», synthétise Christian Puren. Conscients des risques de cette dérive, les professeurs d'anglais ont à nouveau amorcé un virage en réintroduisant une dimension cognitive, permettant de réfléchir sur le fonctionnement de la langue et une dimension interculturelle, avant la sortie des nouveaux textes de lycée...

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       Rien ne s'opposerait donc à l'étude (facultative) de l'espéranto comme langue de communication, qu'on lui dénie ou pas le fait d'avoir une culture.

2. Sans argot ?

       Il y a aussi un argot, certes moins riche, mais avoir des centaines de mots d'argot est-il si prioritaire? C'est une langue jeune, et le vocabulaire s'enrichira toujours. Par exemple, des façons d'indiquer un parler paysan. Il y a même des "histoires Belges" avec dans le rôle des "Belges" de service, les idistes, partisans de l'ido - né d'une scission d'un petit groupe dont les propositions reviennent souvent à rapprocher l'espéranto de leur langue natale, le rendant ainsi moins international.

3. Sans gros mot ?

       Il y a aussi des gros mots, des jurons! Le contraire eût été étonnant... Puisque vous insistez vraiment, en voici deux :
       Fek' ! = Merde ! Forfikiĝu ! = va te faire...!
       Les intéressés peuvent consulter la page http://www.aliaflanko.de/artikloj/text/tabu.html

4. Sans jeux de mots ?

       Elle est bien bonne, celle-là, je la ressortirai !

       Du moment que la langue est très souple, précise et combinatoire, tout est possible, la seule limite est la nôtre. Il est possible de faire des jeux de mots, il existe des blagues, des rencontres de scrabble, des jeux de lettres.

       Citons-en quelques-uns, basés sur une césure imaginaire ou fausse dans le mot qui, du coup, change de sens :

       Aresti (arrêter) peut se comprendre comme vivre en collectivité, car -ar est l'affixe qui indique l'ensemble, et esti = être.

       Riparo (réparation) peut se comprendre comme "cage thoracique" :ripo = côte, et -ar suffixe d'ensemble.

       Legitimi (légitimer) peut se comprendre en blaguant comme "aimer la télé" (timi = craindre, legi = lire, ce qui donne "craindre la lecture" !)

       Il existe également des contrepèteries. Exemple chez Louis Beaucaire : ŝi ĉiam puŝas siajn kunludantojn ĉe la teniso (elle pousse toujours ses partenaires au tennis) ce qui donne en intervertissant le p et le t : "elle touche toujours ses partenaires au"...

       Bref, tout est possible.

       Extrait de Claude Piron :

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       En fait, toute langue littéraire vivante implique un réseau complexe d'interactions entre créateurs-chercheurs (écrivains), créateurs spontanés (usagers, et notamment la partie de la population qui a le plus de verve) et codificateurs (grammairiens, enseignants), ces termes désignant des fonctions et non des personnes (une même personne peut passer de l'un de ces rôles à l'autre). Si l'on étudie l'histoire de l'espéranto, on s'aperçoit qu'il ne diffère pas des autres langues à cet égard : ce même jeu d'interactions y est à l'œuvre depuis le début.

Extrait de l'article de Claude Piron "Culture et espéranto" :

       Il est piquant de constater que les défenseurs de l'espéranto doivent faire face aujourd'hui aux objections que réfutait déjà la "Défense et Illustration de la langue française". Mais qui, de nos jours, se souvient de Du Bellay : «Les langues ne sont nées d'elles-mêmes en façon d'herbes, racines et arbres (...) mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels» ? Ou encore de Rabelais, parfaitement conscient lui aussi du caractère conventionnel et arbitraire du langage : «C'est erreur de dire que nous ayons langage naturel : les langues sont par institution arbitraire et convention des peuples».

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       À l'époque, on reprochait au français de n'être qu'une langue de terroir, la «vraie langue» devait être le latin, langue universelle par vocation. Aujourd'hui, c'est de sa vocation universelle que l'on fait grief à l'espéranto : ce n'est pas une vraie langue, dit-on, car elle n'a pas de terroir. La boucle est ainsi bouclée.

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