L'espéranto est-il supérieur au français ?
Je blague !
C'est
une accroche pour introduire malgré tout
une notion surprenante : il existe une qualité
de l'espéranto qui est facilement mesurable,
par un test reproductible qu'il est possible
de faire chez soi avec une feuille, un crayon
et un chronomètre. Il s'agit de trouver
l'adjectif correspondant, à partir du
substantif.
L'expérimentateur
prononce un mot et mesure le temps que mettra
la personne à trouver l'adjectif correspondant.
on peut noter aussi le temps écoulé
avant que la personne dise "je ne vois
pas" ou affirme "il n'y en a pas"
:
ami - amical (on
démarre en douceur, facile) cheval
- chevalin (encore facile) frère chat chien oncle mouton soleil étoile parole aide main oreille évêque île ville eau feu armée art oiseau rêve argent
(monnaie) poisson
La
même expérience peut être
faite avec d'autres dérivés :
des magasins : pain
- boulangerie, viande - boucherie... des
métiers : chant - chanteur, piano - pianiste,
viande - boucher...
(Dans
certains cas, diverses réponses peuvent
être acceptées pour un mot).
Mais
revenons à l'expérience des adjectifs.
Ces exemples ne sont effectivement pas les plus
faciles, car la racine de l'adjectif est souvent
différente de celle du nom, c'est ce
qui complique la recherche mentale, comme si
on ne trouvait pas immédiatement la bonne
piste, le bon neurone ou le bon tiroir.
Les
réponses : fraternel, félin, canin,
avunculaire, ovin, solaire, stellaire, oral,
auxiliaire, manuel, auriculaire, épiscopal,
insulaire, urbain, aquatique ou aqueux ou hydrique,
igné ou ardent ou enflammé, militaire,
artistique, aviaire, onirique, pécuniaire
ou monétaire. Pour le dernier, ichtyologique
!
Difficile,
n'est-ce pas ?
D'après
le livre de Claude Piron, qui présente
cette expérience(Le
Défi des langues, éd.
l'Harmattan), le temps de réaction moyen
en français est de 2,85 secondes. Or,
la même expérience en espéranto
donne 0,58 secondes, c'est-à-dire quasi-immédiat.
Ce
qui est logique : en supposant la racine connue
(puisque dans l'expérience ci-dessus
le nom français est dit ou lu), il suffit
ensuite de remplacer la finale en -o des sustenter
par la finale en -a des adjectifs pour obtenir
l'adjectif correspondant, sans effort de mémoire
:
amiko (ami) - amika
(amical) frato (frère) - frata (fraternel) hundo
(chien) - hunda (canin) kato (chat) - kata
(félin) stelo (étoile) - stela
(stellaire) onklo (oncle) - onkla (avunculaire) birdo
(oiseau) - birda (aviaire) fiŝo (poisson)
- fiŝa (ichtyologique)
C'est
un immense atout pour une langue de comunication
: l'assimilation généralisatrice,
spontanément pratiquée par les
enfants, peut jouer son rôle sans limites.
Il n'est plus nécessaire d'acquérir
les réflexes inhibiteurs qui nous font
instinctivement préférer telle
ou telle racine, ou , lorsque l'instinct a une
panne, rechercher dans la mémoire quel
est le dérivé adjectival de poisson
ou de sœur (sororal !). Par contre, ce mécanisme
de finale régulière deviendra
très vite en espéranto un réflexe
bien ancré et automatique, facilitant
l'expression : grippe aviaire = birda gripo.
C'est
un des facteurs qui font l'espéranto
"dix fois plus facile". En fait, ce
facteur est probablement plus proche de 20…
Il ne s'agit pas d'un nivellement par le bas.
Cette simplicité n'est pas la source
d'un appauvrissement mais d'un enrichissement
du vocabulaire.
L'espéranto
fait davantage appel à l'intelligence
qu'à la mémoire, libérant
ainsi du temps et de l'énergie, ce même
temps et énergie que nous avons consommés
pour notre langue natale, mais qu'il est peu
rationnel et peu efficace de dépenser
pour une langue de communication.
Ce
temps, libéré à l'école
ou à l'âge adulte, pourrait même
être consacré à une autre
langue étrangère, choisie selon
le métier ou les circonstances : un ingénieur
en Chine pour des années s'essaiera au
chinois, un commercial enRussie au russe, et
un artiste aux Etats-Unis apprendra bien sûr
l'anglais, mais le "choix" de l'anglais
comme langue mondiale est une aberration.
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