Et le multilinguisme
?
Ce sujet, qui est
avec l’espéranto la seule alternative au tout-anglais, étant
plus longuement traité, voici le plan suivi :
1. Un exemple pratique : les difficultés
linguistiques d’un hôpital bruxellois.
2. La parole à la commission européenne : le multilinguisme
et le sondage d’Eurobaromètre.
3. Un constat différent : l’omniprésence de l’anglais à l’assemblée.
4. Un exemple de l’absence de véritable débat, dans Le Monde
de l’éducation.
5. La parole à la commission européenne : comment promouvoir
le multilinguisme.
6. Notre avis.
7. Un article de Claude Piron.
8. Une prise de conscience récente au sein des entreprises ?
1. Voici un exemple
récent et médical des difficultés qui existent là où le
"simple" bilinguisme est déjà inscrit dans la loi,
alors que dire d'un hypothétique multilinguisme?
***
"Journal Le Quotidien du Médecin
du 5 octobre 2005
Les obligations du bilinguisme à Bruxelles
Histoires belges dans les hôpitaux
Si les hôpitaux
de Bruxelles, comme tous les établissements de soins d'Europe,
sont confrontés à des problèmes aussi variés que la maîtrise
des dépenses, la qualité des soins, les infections ou le manque
de personnel, ils doivent relever des défis encore plus redoutables,
comme celui de... garantir un parfait équilibre linguistique
entre les patients et les soignants francophones et néerlandophones.
A « BRUXELLES CAPITALE
», région officiellement bilingue, il suffit qu'un soignant
adresse la parole en français à un patient néerlandophone pour
que ce dernier ait le droit de porter plainte contre l'hôpital
pour non-respect du bilinguisme. Le « crime » est encore plus
grave si un patient reçoit, par exemple, une lettre de l'hôpital
qui n'est pas écrite dans sa langue.
Or il se trouve que
70 % des soignants bruxellois ne parlent pas le néerlandais
; si bien que les patients venant de la périphérie de la ville,
majoritairement néerlandophone à l'inverse du centre, se sentent
victimes d'une discrimination et veulent faire respecter les
droits. Leurs représentants estiment que l'impossibilité pour
eux de comprendre et d'être compris des soignants francophones
(même si, dans les faits, la plupart des gens se comprennent...)
menace leur droit aux soins, et même leur santé. Les francophones
répondent, eux, qu'on a vu aussi des établissements néerlandophones
refuser purement et simplement certains soins aux francophones,
notamment en matière d'examens de dépistage.
Pour remédier à cette
crise, les hôpitaux et les services de santé tentent de doubler
leur personnel en fonction des majorités linguistiques, mais
ce qui est simple en théorie ne l'est pas en pratique : ainsi,
comment éviter qu'un néerlandophone appelant le Samu en urgence
ne tombe sur un francophone au bout du fil ? Bien que les Samu
et les pompiers aient été récemment réorganisés... en fonction
de critères linguistiques, il arrive encore que cette situation
se produise. Et bien sûr, aux urgences même, les médecins ne
peuvent pas trier les malades uniquement en fonction de critères
de langue.
Le Conseil de l'Europe
appelé à arbitrer. Devant l'importance du problème, les représentants
des communautés linguistiques de Bruxelles ont appelé le Conseil
de l'Europe à arbitrer ce conflit, et une commission s'est rendue
sur place pour évaluer la situation. Celui-ci doit, cette semaine,
présenter ses conclusions et ses recommandations officielles.
Il suggère, notamment, une augmentation des moyens administratifs
et humains, mais aussi le développement de stages linguistiques
pour les professionnels de santé et, plus globalement, une meilleure
formation à la langue et à la culture de « l'autre ».
Très engagé, à travers
des programmes linguistiques et culturels, dans la réconciliation
des communautés de l'ex-Yougoslavie, le Conseil de l'Europe
parviendra-t-il, à Bruxelles aussi, à régler ce conflit insoluble
?
Denis Durand de Bousingen"
***
Commentaire : le
multilinguisme ne résoudra pas le problème de la communication
mondiale ou européenne, quelles que soient les méthodes pédagogiques
ou le budget affecté. Ce n'est qu'un pis-aller, un emplâtre
sur une jambe de bois, une pseudo-solution complexe et extrêmement
coûteuse.
Je ne sais plus
qui a joliment résumé le problème : "ce n'est pas en améliorant
la bougie qu'on a inventé l'électricité".
Comme cela était
probable, l'Europe poursuit dans le multilinguisme, tout en
n’utilisant pratiquement que l’anglais dans les commissions
et les rapports. Jàn Figel a été récemment nommé fin 2005 comme
commissaire européen à l'éducation, en charge du multilinguisme
et de la promotion des langues.
Voilà ce qu'on peut
lire sur le site de ladite commission des langues :
***
D’après une récente
enquête Eurobaromètre, la moitié des citoyens de l’Union se
disent capables de tenir une conversation dans une deuxième
langue autre que leur langue maternelle. Le texte adopté aujourd’hui
considère la connaissance des langues comme une aptitude souhaitable
pour tous les citoyens de l’Union (…) Au travers des programmes
Socrates et Leonardo da Vinci, par exemple, la Commission investit
30 millions d’euros par an dans des actions comme la formation,
la mobilité des étudiants et des enseignants ou le financement
d’échanges de classes.
***
Commentaire :
c’est cher !
2. Laissons maintenant
longuement la parole au principal accusé, l'Europe.
Extraits du site
Internet de la Commission européenne des langues, sur le site
de la même Commission européenne (chercher Eurobaromètre - rapports
spéciaux - langues).
***
EUROBAROMETRE
« NOTE SPECIALE LES EUROPEENS ET LES LANGUES »
SPÉCIFICATIONS TECHNIQUES
Entre le 9 mai et
le 14 juin 2005, TNS Opinion & Social, un consortium créé
entre Taylor Nelson Sofres et EOS Gallup Europe, a réalisé la
vague 63.4 de l'EUROBAROMETRE à la demande de la COMMISSION
EUROPÉENNE, Direction Générale Presse et communication, Secteur
Opinion publique. Dans le cadre de cette vague, des questions
sur les compétences linguistiques des européens ont été posées.
(…)
2. AUTRES LANGUES CONNUES
La moitié des
citoyens des États membres affirment qu’outre leur langue
maternelle, ils parlent au moins une autre langue suffisamment
bien pour participer à une conversation. Cette proportion
a augmenté de 3 points par rapport aux résultats obtenus en
2001 pour l’UE15 (EB 51.1), mais les pourcentages varient largement
d’un pays à l’autre.
(…)
À l’autre extrémité
du tableau, une large majorité de citoyens déclarent
ne connaître que leur langue maternelle en Hongrie (71 %), au
Royaume-Uni (70 %), ainsi qu’en Espagne, en Italie et au Portugal
(64 % dans chaque pays).
3. NIVEAU DES COMPÉTENCES LINGUISTIQUES
Les répondants ont
également été invités à évaluer leurs connaissances des langues
étrangères sur une échelle à trois niveaux : très bon, bon ou
basique. Les moyennes de l’Union Européenne pour les cinq
langues les plus courantes ne témoignent pas de différences
significatives. 69 % qualifient leur niveau d’anglais de « très
bon » ou « bon », contre 65 % pour les personnes parlant l’espagnol.
Les répondants connaissant le français ou le russe tendent à
émettre un jugement légèrement inférieur sur leurs compétences.
***
Commentaire
: tant de rigueur dans la méthodologie, c'est impressionnant,
cette étude scientifique a dû coûter cher à l'Assemblée européenne,
mais ça en valait la peine…
Toutes les télés
ainsi que les plus grands journaux - qui prétendent avoir davantage
le temps de réfléchir avant de sortir leurs analyses - en ont
repris les conclusions, chacun ajoutant commentaire, éditorial
ou analyse à ce qui n’est au départ qu’un sondage.
Saluons ce remarquable
progrès scientifique : pour une enquête de sociologie, plus
besoin de définir des critères (quel niveau de langue ? Acheter
une baguette, discuter politique, écouter le journal télé, lire
un roman ?) puis de procéder à des tests de compétence linguistique,
à une vraie étude. Il suffit maintenant de poser une question,
éventuellement plusieurs si on veut vraiment soigner le travail
!
Par exemple, demander
à vingt personnes : êtes-vous gentil, beau et malin ? Oui. D'où
il ressort que 99% des citoyens de ce pays sont gentils, beaux
et intelligents !
On aura également
noté le foisonnement de précautions de style : les personnes
questionnées disent, affirment, s'évaluent, et déclarent maîtriser
une deuxième langue ou pouvoir soutenir une conversation. Que
du rigoureux…
A noter au passage
que si la Hongrie se classe dernière avec 29%, ce peut être
:
- parce qu'ils sont
plus modestes
- parce qu'ils sont
plus réalistes, plus conscients de l'extrême difficulté à "maîtriser
une langue étrangère", ainsi qu'il leur était demandé,
et de la prétention qu’il y aurait à répondre « oui » , sachant
que cela voudrait dire comprendre l’argot, les infos à la télé,
les chansons, l’humour, les références culturelles et les idiomes…
Ainsi, la désinformation
et la manipulation sur l'étude des langues continuent de plus
belle, masquant la réalité : l'anglais omniprésent en première
langue pour au final un résultat médiocre, et deux autres langues
à un encore plus faible niveau, en gros la situation actuelle.
3. Un constat
moins optimiste sur le multilinguisme actuel que celui de la
commission :
Extrait de Pourquoi
veulent-ils tuer le français ? (éditions Albin Michel) du
Pr Bernard Lecherbonnier, université Paris-XIII, directeur de
recherche en études littéraires francophones, qui (présentation
de la 4e de couverture) "brosse un tableau alarmant de
la situation avec ce plaidoyer en faveur d'une défense active
de la langue française, "langue de la République"
selon l'article 2 de la Constitution.
Par souci d’objectivité,
nous signalons que le Pr Lecherbonnier n’est pas espérantiste.
Voici ce qu’il en dit, page 215 :
"Beaucoup de
gens ont rêvé d'une langue qui fonctionnerait comme une parfaite
mécanique dont tout aurait été calculé à l'avance. Mythe d'une
langue artificielle, de l'espéranto, échappant aux contingences
des langues naturelles. Or il reste qu'une grande langue ne
peut être qu'un immense mystère, une sorte de galaxie en constante
expansion, insaisissable dans sa totalité aux meilleurs esprits."
***
Extrait :
(…l'Union européenne).
Le français y est langue officielle et langue de travail. Or
le même phénomène qui a eu lieu aux Nations unies où le français,
juridiquement langue officielle et langue de travail avec l'anglais,
n'est plus qu'une langue de traduction est en train de se produire.
La Commission ne parle pratiquement plus qu'anglais, y compris
au niveau des agents (des statistiques déjà anciennes font état
de 22 % d'échanges oraux en français et de 6 % d'échan-ges écrits).
Elle ne communique la plupart du temps aux institutions nationales,
y compris françaises, que des documents en anglais. Certains
organismes ont rayé le français de leur usage : il en est ainsi
de la Banque européenne d'investissement, de la Banque centrale
européenne, de la Fondation européenne pour l'amélioration des
conditions de vie... L'absence de réaction de la France s'assimile
à une forfaiture d'État puisque les Français n'ont accepté les
institu-tions européennes qu'à la condition que soient appliqués
les traités européens reconnaissant le multilinguisme et que
soit respecté le statut des langues officielles. Or en permanence
notre pays est piétiné, humilié sans que notre gouvernement
ne manifeste autre chose que son masochisme résigné. La langue
anglaise est imposée comme seule langue en matière de communication
financière par une directive, le 4 novembre 2003 : Paris se
couche. Les annonces de recrutement lancées par les institutions
européennes sont rédigées en anglais : Paris dort. Les standards
téléphoniques ne répondent plus qu'en anglais : Paris s'est
mis aux abonnés absents.
***
4. Autre exemple,
sinon de désinformation, du moins de l'absence d'un véritable
débat sur le sujet.
Ce qui pourrait bien
être une voix discordante, une ébauche de critique, n'occupe
qu'une dizaine de lignes dans un dossier de seize pages sur
l'apprentissage des langues vivantes… (dans Le Monde de l’éducation)
alors qu'on abordait là le vrai problème. Dans le reste du vaste
dossier, il est question d’apprentissage précoce, de stages
linguistiques, d’enseignement de certaines matières en anglais,
voire de villages anglais en pleine France pour y envoyer nos
chers petits s’imprégner du vrai accent (anglais, naturellement),
de multilinguisme, et de l’ouverture aux autres cultures par
l’enseignement des langues vivantes.
Extrait de "Le
Monde de l'Education", février 2005, N°333, article signé
Julie Chaupin.
***
Faut-il systématiquement
privilégier l'anglais, le choix majoritaire des familles, au
risque de nier la diversité linguistique ? Jamais à court d'une
utopie, Claude Hagège propose d'introduire précocement deux
langues étrangères. Michel Candelier, professeur à l'université
du Maine, s'en tient aux limites du possible et défend une approche
différente et non contradictoire baptisée «Eveil aux langues»
qui fait le pari de sensibiliser les enfants à un grand nombre
d'idiomes. «Le bilinguisme en soi n'est pas une solution
"crédible" pour l'ensemble du territoire. Nous ne
visons pas ici la compétence éducative. Nous cherchons à cultiver
chez les plus jeunes des attitudes et des aptitudes, telles
que l'ouverture à la diversité ou la capacité à observer et
analyser des phénomènes linguistiques oraux ou écrits.»
En d'autres termes, une meilleure approche des langues pour
mieux aborder le monde.
5. Mais la Commission
ne se contente pas d’un constat, elle propose une solution,
le multilinguisme, et avance des axes de travail pour le
promouvoir :
Rapport sur le multilinguisme
(certaines phrases surlignées en gras par nous-mêmes) :
Premier extrait :
Apprentissage des langues dès le plus jeune
âge
Actuellement, dans
la plupart des pays, au moins la moitié des élèves de l’enseignement
primaire apprennent une langue étrangère. Toutefois, comme la
Commission l’a souligné précédemment, l'apprentissage des langues
dès le plus jeune âge n’est profitable que lorsque les enseignants
ont été spécialement formés à l’enseignement des langues à de
très jeunes enfants, que le nombre d’élèves par classe est suffisamment
faible, que le matériel pédagogique adapté est disponible et
que le programme scolaire prévoit une plage horaire suffisante
pour les langues.
Deuxième extrait :
Enseignement d’une matière par l’intégration
d’une langue étrangère
Une récente conférence
organisée par la présidence luxembourgeoise de l’Union européenne
a porté sur l’évolution de l’enseignement d’une matière par
l’intégration d’une langue étrangère (EMILE), dans lequel les
élèves apprennent une matière au moyen d’une langue étrangère.
Cette méthode est de plus en plus utilisée en Europe et offre,
dans le cadre du programme scolaire, des possibilités accrues
d’exposition aux langues étrangères.
Troisième extrait :
Langues dans l’enseignement supérieur
Les établissements
d’enseignement supérieur pourraient jouer un rôle plus actif
dans la promotion du multilinguisme auprès des étudiants et
du personnel, mais aussi au sein de la communauté locale au
sens large. Il convient d’admettre que la tendance, dans
les pays non anglophones, à enseigner en anglais au lieu de
la langue nationale ou régionale peut avoir des conséquences
imprévues pour la vitalité de ces langues.
La Commission
prévoit prochainement une étude plus approfondie de ce phénomène.
http://www.eu.int/comm/education/policies/lang/doc/com596_fr.pdf
(page 7)
***
(Nota : surprenant
! La Commission lance un avertissement (certes peu explicite…mais
avertissement tout de même) contre les dangers des méthodes
qu'elle encourage ! Dangers que constatent déjà la Norvège et
la Suède où l'enseignement de certaines matières scientifiques
en anglais fait progressivement perdre la terminologie de ces
disciplines, faute d'être actualisée en permanence dans leur
propre langue. Les unions professionnelles de traducteurs et
d'éditeurs se sont même inquiétées de cet appauvrissement de
la terminologie (plusieurs articles sur Internet détaillent
l'usage de plus en plus large de l'anglais dans les études médicales,
et ses effets pervers). Quant à l’apprentissage précoce, aucune
étude n’a prouvé son avantage, mais au contraire, plusieurs
ont montré sa neutralité – voire sa nocivité.)
***
Quatrième extrait :
Indicateur européen des compétences linguistiques
Les travaux sur l’indicateur
européen des compétences linguistiques, qui a fait l’objet
d’une communication récente, ont déjà bien progressé ; ils rassembleront
des données fiables sur les compétences actuelles en langues
étrangères des jeunes et fourniront des informations extrêmement
utiles aux responsables politiques.
(Commentaire
: nous n’avons pas vraiment compris si ce passage fait référence
à la pseudo-étude d’Eurobaromètre (le sondage rapporté plus
haut), ou à une échelle de niveau en langues récemment mise
au point par l’Europe, qui est d’ailleurs plutôt un ensemble
d’objectifs destiné aux lycées qu’une véritable échelle permettant
des discussions pertinentes sur la maîtrise d’une ou plusieurs
langues.)
***
6. Notre avis
: nombre de ceux qui trouvent excessive l’omniprésence
de l’anglais (voir plus haut), prônent donc pour l’Europe une
solution appelée multilinguisme, où chacun y va de sa variante
: de deux à quatre langues, ou une de chaque groupe linguistique,
sans oublier le turc, le latin ou le grec pour les autres, etc.
Ou encore en parler trois et en lire deux (niveau inférieur
d’apprentissage). Également vu : reléguer l’anglais en deuxième
langue (commune à toute l’Europe) et varier les premières langues,
plus une troisième.
Les tenants de ces solutions prennent souvent comme exemple
des pays où les habitants seraient polyglottes (tantôt la Suisse,
tantôt les pays nordiques, tantôt les Slaves). Comme l’herbe
qui est toujours plus verte chez le voisin, les autres sont
(soit) plus intelligents, plus doués en langue, ou enseignent
mieux les langues vivantes, ou commencent dès le berceau (sous-entendu
l'anglais, bien sûr), c'est selon.
En fait, chacun a
les mêmes difficultés : la Norvège commence à se rendre compte
que son vocabulaire est de plus en plus anglais et de moins
en moins norvégien… notamment son vocabulaire scientifique,
car certaines matières sont maintenant enseignées en anglais,
et on a vu plus haut que la Commission européenne elle-même
met en garde contre ce risque.
De son côté, la Suisse
peine à choisir un compromis équitable et réalisable entre ses
quatre langues.
Nous pensons que l’étude d’une ou de plusieurs langues vivantes
(jusqu’à un niveau de compréhension d’une discussion, ou de
la lecture fluide d’un quotidien) est aussi longue qu’ardue,
et nécessite en outre des séjours linguistiques réguliers.
Si cette solution
est envisageable pour nos élites politiques ou journalistiques,
elle n’est pas applicable en pratique pour l'ensemble de la
population. La preuve en est que lorsqu’on demande des détails
sur la solution du multilinguisme – quelles langues, combien
? – les réponses sont obscures.
De plus, une telle
solution ne pourrait passer que par une forte contrainte : obligation
de choisir à l’école une langue de chaque groupe linguistique.
Or, 90% des élèves (les parents en fait) choisissent l’anglais,
pour que leur enfant ait «toutes les chances de son côté» ,
et cela ne changerait pas avec un hypothétique multilinguisme.
Les parents ne sont pas idiots : ils ont vu maintes fois les
politiques s'exprimer en anglais, ils ont vu les commissions
européennes parler anglais, etc. ils en déduisent logiquement
que pour l'avenir de leur enfant, il est préférable de choisir
l'anglais, sauf but particulier, par exemple le russe ou le
chinois… Comment peut-on penser que proposer une initiation
à l'allemand au primaire ou à l'espagnol (si tant est qu'il
y ait suffisamment de postes…) changera cela ?
Alors que la solution
d’une année d’étude seulement de l’espéranto à l’école primaire
ou au secondaire est beaucoup plus simple à instaurer, et procurerait
à chacun une langue de communication, tout en permettant l’étude
au lycée d’une ou deux autres langues (et culture, le Ministère
de l’Éducation tient à cette précision).
Nous avons la chance
que Zamenhof ait été européen, et que l’étymologie de l’espéranto
soit essentiellement romane, profitons-en. Les Indiens d’Amérique
du Nord usaient déjà d’une langue des signes pour surmonter
les difficultés linguistiques (plusieurs dizaines de dialectes)
et s’échanger les informations de base - limitées.
Le génie de Zamenhof nous a apporté l’espéranto, il est dommage
de ne pas en profiter davantage plutôt que d'attendre qu'un
autre génie, quelque part en Asie ou en Afrique, propose mieux.
7. Extrait de
l'article de Claude Piron : "L'européen trilingue, un espoir
réaliste ?"
Il faut au moins
10.000 heures d’étude et de pratique pour fixer les centaines
de milliers de réflexes nécessaires, dont le nombre est incompressible.
Or, l’enseignement de la première langue étrangère comprend
au total entre 800 et 1200 heures de cours selon le pays. Il
n’est donc pas étonnant qu’au niveau du bac, un élève sur 100
seulement soit capable de s’exprimer correctement dans la première
langue étrangère apprise. Huit cents à 1200 heures, c’est le
dixième de ce qu’il faudrait. Si on veut que les élèves possèdent
deux langues étrangères, il faut multiplier par vingt le nombre
actuel d’heures de cours.
C’est dans ce sens
qu’a opté le Luxembourg, où, à l’école primaire, sur 27 leçons
hebdomadaires, 12 sont consacrées à deux langues étrangères
: l’allemand et le français, soit environ 3000 heures pour les
six années primaires. Comme l’étude des langues se poursuit
au niveau secondaire, le Luxembourg dispose effectivement d’une
population trilingue, mais les Luxembourgeois sont moins forts
que leurs camarades du même âge en mathématiques, en sciences
et dans diverses autres branches importantes. En outre, si les
jeunes ne perdent pas ces langues quand ils entrent dans la
vie active, c’est à cause de la situation géographique exceptionnelle
du Grand-Duché, où les contacts avec des personnes de langue
française et allemande sont quotidiens. Dans des pays comme
l’Espagne, la Finlande ou la France, l’oubli ne tarderait pas
à s’installer, parce que les réflexes conditionnés ne se maintiennent
que s’ils sont régulièrement renforcés. Vous le constatez si
vous restez quelques années sans parler une langue : les mots
qui se dérobent, les fautes que vous faites apparaissent là
où manque un lien conditionnel entre concepts apparentés ou
un réflexe inhibiteur et une déviation.
Trilinguisme ou promotion déguisée de l’anglais
?
Si l’on veut une
population trilingue, quel niveau va-t-on viser ? Un niveau
de maîtrise dans les trois langues est impossible par le simple
enseignement scolaire et on n’arrivera pas à financer des séjours
linguistiques de longue durée pour la totalité de la population.
Même l’enseignement de certaines branches dans la langue étrangère
ne donne pas accès au niveau souhaité. En Suisse, il existe
des lycées qui enseignent quatre branches en langue étrangère
pendant trois ans. Le niveau des élèves dans la langue en question
est certes bien supérieur à celui que donne l’enseignement traditionnel,
mais il est tout de même encore loin de la maîtrise. Si l’on
s’en tient aux langues européennes, la seule solution réaliste
serait un trilinguisme comportant une bonne connaissance de
la langue maternelle, une connaissance imparfaite mais relativement
opérationnelle d’une deuxième langue et une initiation à une
troisième langue permettant, non pas vraiment de l’utiliser,
mais d’en avoir une certaine idée, ce qui, culturellement parlant,
se justifie, car plus l’on découvre de façons différentes d’exprimer
les mêmes pensées, plus l’esprit s’élargit.
Malheureusement,
ce système comporte de graves inconvénients. Il favoriserait
une inégalité en faveur des pays anglophones. En effet, on ne
peut communiquer d’un pays à l’autre que si l’une des langues
enseignées est la même pour tous. Sinon comment un trilingue
portugais-grec-danois pourrait-il avoir un échange sérieux avec
un trilingue finnois-allemand-français ?
Les parents exigeront
donc que la langue apprise le plus à fond soit l’anglais. Quant
aux élèves de langue anglaise, la plupart seront peu motivés
pour apprendre deux autres langues, puisqu’ils savent que, où
qu’ils aillent, ils pourront se tirer d’affaire avec leur langue
maternelle. Or, le principal facteur de succès dans l’apprentissage
d’une langue est la motivation. Paradoxe : on prône le trilinguisme
pour sauvegarder la diversité, pour assurer une meilleure connaissance
mutuelle de tous les Européens, mais en fait on les conduit
tout droit à une soumission à l’anglophonie, avec pour conséquence
l’imprégnation dans une façon de penser qui n’a rien à voir
avec les traditions mentales et culturelles de l’Europe continentale.
Nous allons donc,
non pas vers un trilinguisme généralisé où tout le monde serait
plus ou moins sur le même pied, mais vers un bilinguisme plus
ou moins effectif avec renforcement de l’inégalité entre les
peuples. Les peuples ne sont pas à égalité devant l’anglais
: les Germains sont avantagés par rapport aux Latins, et les
Latins par rapport aux Slaves et autres Baltes. L’anglais est
foncièrement une langue germanique, donc proche des langues
scandinaves, de l’allemand et du néerlandais. Il a beaucoup
en commun avec ces langues, non seulement au niveau du vocabulaire
de base et de la grammaire, mais à des niveaux beaucoup plus
subtils. Il y a un esprit commun aux langues de cette famille
qui est étranger aux langues latines et slaves. Mais si les
personnes de langue romane sont défavorisées par rapport aux
Germains, elles sont dans une situation beaucoup plus favorable
que celles d’Europe orientale. Une des difficultés de l’anglais
tient à son immense vocabulaire, qui représente à peu près le
double de celui d’une autre langue européenne, un énorme apport
français et latin s’étant ajouté au fond germanique sans s’y
substituer. On ne sait pas l’anglais si on ne connaît pas à
la fois fraternal et brotherly, liberty et freedom, vision et
sight. Un Occidental connaît d’avance un des deux termes, mais
pas un Hongrois ou un Estonien. L’adoption de l’anglais comme
moyen de communication internationale crée une hiérarchie entre
les peuples : elle n’est pas démocratique.
Une solution réellement réaliste
La seule chance
d’éviter un renforcement de la position hégémonique de l’anglais
implique une prise de conscience au niveau des autorités et
des médias. Malheureusement, cette prise de conscience se heurte
à une énorme résistance.
Il existe un trilinguisme
réaliste, exempt des inconvénients de celui dont j’ai parlé
jusqu’ici : le trilinguisme "langue maternelle — espéranto
— autre langue".
L’espéranto est
entièrement fondé sur le droit de généraliser tout trait linguistique.
Cela veut dire, du point de vue neuropsychologique, qu’il fait
l’économie de tous les réflexes secondaires ou tertiaires mis
en place dans les autres langues pour inhiber les premiers réflexes
installés. L’élève qui apprend une autre langue a l’impression
d’être engagé sur un parcours qu’un sadique a parsemé de pièges
mis là tout exprès pour le faire trébucher. Or, l’installation
des réflexes empêchant de tomber dans ces pièges représente
environ 90% du temps nécessaire à l’acquisition d’une langue.
Comme, en espéranto,
ces pièges n’existent pas, l’économie en temps d’apprentissage
est énorme. Un mois d’espéranto confère un niveau de communication
comparable à celui que donne un an d’une autre langue. Autrement
dit, après six mois d’espéranto, à nombre égal d’heures hebdomadaires,
l’élève a une capacité de communiquer équivalant à celle qu’il
possède, pour une autre langue, au terme de ses études secondaires.
Cela veut dire qu’il suffit d’enseigner l’espéranto pendant
un semestre, soit à la fin du primaire, soit au début du secondaire,
pour réaliser la première étape : le bilinguisme "langue
nationale — langue internationale". Pendant tout le reste
de la scolarité, l’élève dispose donc, pour apprendre la troisième
langue, de toutes les heures actuellement consacrées à la deuxième.
Quand on parle une
langue étrangère, on a souvent l’air moins intelligent qu’on
n’est. Donc si je vous dis "je remercie à vous", vous
me comprenez, mais je ne suis pas perçu comme celui que je suis
vraiment, il y a quelque chose de faussé entre nous. Un des
avantages de l’espéranto, c’est qu’il évite ce genre de problème
grâce à sa grande liberté lexicale et syntaxique. En espéranto,
on peut dire, suivant la structure française "je vous remercie",
mi vin dankas, suivant la structure anglaise "je remercie
vous", mi dankas vin, et suivant la structure allemande
"je remercie à vous" , mi dankas al vi. Comme les
trois structures sont également courantes, aucune ne paraît
étrange. Autre exemple, concernant, cette fois, les structures
lexicales. En français, je peux dire vous chantez merveilleusement,
mais je n’ai pas le droit d’appliquer la même structure aux
concepts ‘musique’ et ‘beau’ : vous musiquez bellement est compréhensible,
mais incorrect. En espéranto, de même que vous pouvez dire vi
kantas mirinde "vous chantez merveilleusement", vous
pouvez dire vi muzikas bele ou vi bele muzikas. Autrement dit,
l’enfant qui apprend l’espéranto apprend à exprimer sa pensée
selon des formes beaucoup plus variées que dans n’importe quelle
autre langue, et ce sans faire l’expérience pédagogiquement
défavorable de la faute. Il y a élargissement du sens linguistique
et de la créativité langagière sans sensation d’échec
Conclusion de Claude
Piron :
Heureusement, comme
disait Lincoln, on peut cacher une partie de la vérité à une
partie de la population une partie du temps, mais on ne peut
pas cacher toute la vérité à toute la population tout le temps.
Une prise de conscience peut donc intervenir de façon inattendue
et une fois la prise de conscience effectuée les choses peuvent
aller très vite. Qui sait si, en proclamant l’an 2001 "Année
européenne des langues", le Conseil de l’Europe n’a pas
pris l’initiative qu’il fallait pour stimuler enfin la recherche
consciencieuse de la vérité, et donc des solutions sortant des
sentiers battus ?
8. Le point de
vue de certaines entreprises semble avoir évolué.
Rappelons que les réunions de cadres supérieurs se font en
anglais dans nombre d’entreprises françaises, et que certaines
ont eu des conflits avec le personnel et les syndicats par refus
de traduire des documents internes en français (rapports internes,
notices techniques, etc.)
Pourtant, certaines se rendent compte maintenant que le résultat
de cette politique n’est pas fameux en terme d’efficacité.
Extraits du journal en ligne des Echos
La rédaction web des Echos - 10 février 2006
Et pourtant, le « tout-anglais » montre aujourd'hui ses limites.
« On assiste à un retournement. Les entreprises sont en train
de revenir vers le français », affirme Guilhène Maratier-Decléty,
directrice des relations internationales de l'enseignement au
sein de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris.
(…)
...Début 2005, AXA
Assistance a mis en place une « commission de terminologie »
destinée à préserver la communication interne du groupe des
influences anglo-saxonnes grandissantes. Etonnant pour une entreprise
dont les réunions de cadres dirigeants se font en anglais et
qui exige de ses collaborateurs une maîtrise parfaite de cette
langue.
« L'utilisation du
"franglais", notamment, était telle que la communication
interne s'en trouvait brouillée. Le langage était parfois abscons
et flou, et certains termes étaient utilisés sans que certains
salariés connaissent réellement leur signification », explique
Catherine Hénaff, directrice des ressources humaines et de la
communication interne du groupe.
(…)
Les entreprises seraient-elles subitement devenues d'acharnés
défenseurs de la langue française ? Pas vraiment. Outre le respect
incontournable du cadre réglementaire - la loi Toubon de 1994
impose le français comme langue de travail pour un certain nombre
de documents -, les groupes doivent veiller à ce que l'utilisation
généralisée de l'anglais ne se révèle pas contre-productive.
Un facteur de division
« La langue peut
être un facteur de discrimination », rappelle Robin Lent, directeur
associé du cabinet de formation linguistique AC3. Les syndicats
de l'entreprise General Electric Medical System peuvent en témoigner.
Ils sont aujourd'hui en procédure judiciaire contre leur employeur
américain, accusant celui-ci de ne pas respecter son obligation
de traduire les documents internes en français sur son site
de Buc, dans les Yvelines. « Les notes d'information, les logiciels,
les documents de travail... toute la communication interne a
été rédigée en anglais, sans qu'aucune traduction n'ait été
prévue pour les salariés. Or, nombre d'entre eux n'ont pas un
niveau suffisant pour maîtriser cette langue. Ils se retrouvent
de fait exclus de l'entreprise », explique Jocelyne Chabert,
représentante CGT de l'entreprise.
(…)
L'anglais, facteur
de division ? Certaines entreprises le pensent. Quitte à adopter
une langue dominante dans leurs relations internationales, elles
préfèrent donc se tourner vers la plus partagée par leurs salariés,
à savoir le français. Un retour identitaire qui n'est pas forcément
un repli sécuritaire.
(…)
Le groupe LVMH l'a
bien compris. Profitant de la solide image de la culture française
dans le monde du luxe, il veille au respect de la langue de
Molière, dans sa communication aussi bien externe qu'interne.
Tandis que les produits vendus à l'étranger gardent leur appellation
française, le centre de formation du groupe, basé à Londres,
forme les cadres étrangers à la connaissance de la langue et
de la culture françaises. « Dans le groupe, un cadre ne se sentira
pas vraiment intégré s'il ne parle pas le français. Cette langue
fait partie intégrante de notre identité », affirme Concetta
Lanciaux, conseiller du président pour les ressources humaines.
C'est dit, le français en entreprise a encore de beaux jours
devant lui.
*** Extraits d'un récent rapport officiel européen (2006) http://europa.eu.int/comm/education/policies/lang/key/foreign_fr.html
Nous avons surligné certains passages en gras, car ils contredisent l'enthousiasme officiel pour l'apprentissage précoce des langues.
***
L'étude intitulée "L'enseignement « précoce » : quels résultats, dans quelles conditions ?" et publiée en anglais, en français et en allemand, a été réalisée dans le cadre d'un projet financé par le volet LINGUA du programme SOCRATES de l'Union européenne. Les travaux ont été menés par les six chercheurs suivants: Christiane Blondin (Liège, Belgique), Michel Candelier (Paris, France), Peter Edelenbos (Groningue, Pays-Bas), Richard Johnstone (Stirling, Écosse), Angelika Kubanek-German (Eichstätt, Allemagne) et Traute Taeschner (Rome, Italie).
Selon les conclusions de ces recherches, l'apprentissage précoce des langues peut avoir un effet très positif sur les élèves, en termes de compétences linguistiques, d'attitudes positives à l'égard d'autres langues et cultures et sur le plan de la confiance en soi. Toutefois, le fait de commencer tôt ne garantit pas de meilleurs résultats qu'un apprentissage plus tardif. Pour que l'expérience soit couronnée de succès, certaines conditions doivent être réunies tant au niveau de la pédagogie et que des ressources. A cet égard, le groupe a formulé les recommandations suivantes.
(....)
Les parents devraient apporter leur concours lors de l'introduction de l'apprentissage des langues à l'école primaire, et le choix des langues à apprendre devrait leur être expliqué, notamment s'il s'agit de langues de moindre diffusion. Les parents doivent bien saisir les objectifs, afin de créer un climat motivant pour les élèves en dehors de l'école.
(...)
Il est indispensable, étant donné la fragilité de l'acquisition du langage chez les enfants et la difficulté de le transférer entre les différents contextes, d'assurer une continuité pédagogique entre les secteurs préprimaire, primaire et secondaire.
(...)
De courtes leçons quotidiennes sont préférables à une ou deux longues leçons hebdomadaires. Néanmoins, un horaire amélioré ne suffit pas pour garantir des résultats.
(...)
La recherche est indispensable pour mettre au point des méthodes d'apprentissage précoce des langues destinées à encourager les élèves en difficulté scolaire et/ou qui viennent de milieux socialement défavorisés.
(...)
L'innovation dans l'enseignement des langues étrangères chez les enfants ne devrait pas consister uniquement à abaisser l'âge auquel ils peuvent débuter. Des méthodes appropriées et spécifiques doivent être mises au point pour chaque tranche d'âge concernée.
(...)
Il a été démontré que si certaines précautions ne sont pas prises, l'apprentissage précoce des langues étrangères peut nuire à la diversité. Bien qu'il soit souhaitable de proposer aux parents ou aux écoles un choix de langues au niveau primaire, la diversité n'est pas garantie, notamment si la continuité dans la langue choisie doit être maintenue au niveau secondaire. Il se peut que les enseignants de langues de moindre diffusion ne soient pas toujours disponibles à la fois pour les niveaux primaire et secondaire. En tout état de cause, les écoles et/ou les parents peuvent insister sur l'importance des langues "internationales". Une solution peut consister à sensibiliser les jeunes enfants à la diversité linguistique, au lieu de se fixer sur une seule langue. Il conviendrait de favoriser les langues étrangères parlées localement ou dans les régions voisines.
(...)
L'apprentissage précoce des langues est, sur le plan éducatif, une entreprise inestimable. Néanmoins, s'il est mis en œuvre, dans l'enseignement primaire et préprimaire, sans les ressources et la planification nécessaires pour remplir les conditions précitées, l'expérience peut être vouée à l'échec. De piètres résultats peuvent être source de désillusion envers l'idée même de l'apprentissage précoce des langues.
***
Commentaire :
Au vu de toutes ces mises en garde, il nous paraît étonnant qu'on puisse qualifier ce rapport de favorable à l'apprentissage précoce des langues ! Il mérite le prix Nobel de l'ambiguïté...
C'est pourtant ce qu'en déduit la Commission européenne des langues.
Rappelons qu'il n'y a pas à l'heure actuelle une seule étude scientifique qui ait montré un avantage de l'apprentissage précoce des langues. Les rares études menées ont au contraire pointé des inconvénients possibles quant à l'acquisition de la langue maternelle.
S'il est probable qu'une initiation linguistique précoce à la diversité des langues, c'est-à-dire initialement l'apprentissage de divers alphabets, permette d'apprendre à reconnaître et à reproduire des sons, des phonèmes qu'il sera plus difficile d'apprendre plus tard, rien n'indique quelque avantage à se spécialiser jeune dans une ou deux langues, surtout de façon intensive.
Prenons une analogie : en science ou en sport, par exemple, on ne commence jamais par se spécialiser, au contraire : le professeur de sport initie les enfants à divers sports très différents, sports de balle ou gymnastique, individuels ou collectifs, etc., libre à chacun par la suite de se perfectionner dans tel ou tel sport, selon ses goûts et ses objectifs. Pourquoi ne pas faire de même en langue, une initiation large mais non spécialisée, suivie ultérieurement au collège de modules au choix ?
Pourquoi imposer arbitrairement, par exemple, l'allemand à la maternelle (expérience récente à Montpellier, Le Monde de l'éducation, 06/06) ?
Chacun connaît des exemples de bilinguisme jeune et heureux, de familles avec deux langues à la maison outre la langue du pays.
Mais le battage médiatique ahurissant fait à l'apprentissage précoce des langues, sur la chance que cela représente, ce battage qui découle probablement en cascade de l'opinion de la Commission européenne des langues, empêche des témoignages contradictoires de remonter au grand jour.
Nous avons eu directement connaissance des cas où ça s'est moins bien passé, mais comment pourraient-ils oser le dire quand tous répètent "quelle chance vous avez" ? Quand les journalistes eux-mêmes ne recherchent que des témoignages allant dans le même sens ?
Par exemple, si un enfant très jeune vient montrer à sa mère le beau dessin qu'il a fait à l'école maternelle, et qu'en retour celle-ci le complimente affectueusement, mais en lui demandant de répéter la même chose dans sa langue à elle, l'enfant sera surpris et déçu. Si la scène se reproduit souvent, la mère pensant bien faire pour l'encourager à apprendre jeune cette langue, l'enfant progressivement risque de moins venir chercher ses encouragements, voire se replier sur lui-même.
Parallèlement, le risque est notable que la mère (ou le père) , si l'enfant réagit mal, se sente elle aussi rejetée par cet enfant qui lui paraît rejeter (mépriser, se demande-t-elle) sa langue maternelle à elle, sa culture.
Pour l'enfant jeune, cette culture ne représente rien de concret, de pratique, rien de son environnement. S'il consent à le faire, c'est pour faire plaisir à sa mère, laquelle semble vouloir qu'il s'y intéresse, mais à un âge où des millions d'apprentissages le sollicitent quotidiennement et lui paraissent plus directement utiles, ce n'est pas évident.
C'est en tout cas moins évident que les reportages enthousiastes semblent le dire, à preuve ce récent rapport qui multiplie les circonlocutions et les précautions de style.
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