Questions - réponses sur l'espéranto

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Réponses à quelques lieux communs ou préjugés sur l'espéranto

Quelques éléments de grammaire espéranto

Grammaire de l'espéranto

 

C'est une langue qui manque de souplesse, rigide

       Bis : c'est une critique qui étonne toujours les espérantistes, car l'espéranto est bien plus souple, c'est même une de ses qualités essentielles.

       Un poème chinois de 4 mots a été traduit en français par "que le père remplisse ses devoirs de père, et le fils ses devoirs de fils."(15 mots !) Claude Piron l'a traduit en espéranto par patro patru, filu filo (désinence en -u de l'impératif).

       Autre aspect important : l'ordre des mots a moins d'importance car l'accusatif (désinence en -n) permet d'identifier le complément d'objet direct où qu'il soit. De plus la désinence permet toujours d'identifier la fonction d'un mot, verbe, substantif, adjectif ou adverbe, même inconnu jusqu'alors. Ainsi, mi vin dankas (je vous remercie), mi dankas vin, mi al vi dankas, mi dankas al vi, sont-ils 4 tournures identiques, toutes acceptables et comprises en espéranto.

       Autre exemple, on peut dériver tous les moyens de transport :

       mi skias = je skie, mi aŭtas = je vais en auto, mi biciklas = je fais de la bicyclette etc.

       La poésie, si difficile а apprécier dans une langue étrangère, est sans doute également ce qu'il y a de plus difficile а traduire а cause des contraintes de rime, de sens, de longueur de vers а respecter, de rythme, et de cette notion impalpable de poésie, d'ambiance.

       L'espéranto est probablement la langue la plus adaptée pour traduire la poésie, du fait de sa souplesse, de sa flexibilité et de la structure combinatoire, qui permettront de trouver plus facilement une solution respectant le sens et collant au plus près du texte.

       De plus, situation unique : le traducteur traduit depuis sa propre langue vers l'espéranto, il est donc supposé bien sentir les nuances dans sa langue natale.

       Ex. La Fontaine, Le Corbeau et le Renard, traduction de Lucien Thevenin :

Magistro korv' sur arbo altsidanta,
En sia bek' fromaĝon portis.
Magistro vulpo al odor' flaranta,
Tiele proksimume vortis :
"Saluton korva moŝto mia.
Senfine vi aspektas bela kaj gracia !
se plie, via voĉo trilas
Agrable kiel plumoj brilas,
Vi estas de l'arbaro la feniksa gasto."
Je tiuj vortoj ekĝojegas korvo vanta;
Por montri voĉon sen prokrasto
Malfermas larĝan bekon, jen rabaĵ' falanta.
La vulpo kaptas ĝin kaj diras ĝi : "kunulo,
Nu eksciu, ke flatulo
De la kredema aŭskultant' profitas.
Ĉi tiu lecion', fromaĝon ja meritas."
la korvo honta kaj konfuza
Malfruis tro por ĵuri, ke ĝi estos ruza.

       (l'élision peut remplacer la désinence en -o des substantifs)

       Voici un contre-exemple qui montre bien à quel point traduire de la poésie est difficile : le célèbre poème de Kipling dans sa traduction française classique d'André Maurois (1918).

       Il est étonnant de voir comme cette traduction est éloignée de l’original. C’est certes une très belle version, mais c’est presque une réécriture, avec le début français qui est en fait le milieu du poème d’origine, et d'autres métaphores ne se trouvant pas au même endroit que dans l'original.

If... by Rudyard Kipling

If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you
But make allowance for their doubting too,
If you can wait and not be tired by waiting,
Or being lied about, don't deal in lies,
Or being hated, don't give way to hating,
And yet don't look too good, nor talk too wise:
If you can dream--and not make dreams your master,
If you can think--and not make thoughts your aim;
If you can meet with Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;
If you can bear to hear the truth you've spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools,
Or watch the things you gave your life to, broken,
And stoop and build 'em up with worn-out tools:
If you can make one heap of all your winnings
And risk it all on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breath a word about your loss;

If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: "Hold on!"
If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with kings--nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you;

If all men count with you, but none too much,
If you can fill the unforgiving minute
With sixty seconds' worth of distance run,
Yours is the Earth and everything that's in it,
And--which is more--you'll be a Man, my son!

Si... de Rudyard Kipling

Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie,
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties,
Sans un geste et sans un soupir.

Si tu peux être amant sans être fou d'amour,
Si tu peux être fort sans cesser d'être tendre,
Et te sentant haï sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre.

Si tu peux supporter d'entendre tes paroles,
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d'entendre mentir sur toi leurs bouches folles,
Sans mentir toi-même d'un mot.

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu'aucun d'eux soit tout pour toi.

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser, sans n'être qu'un penseur.

Si tu sais être dur sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant.

Si tu peux rencontrer triomphe après défaite,
Et recevoir ces deux menteurs d'un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête,
Lorsque tous les autres les perdront.

Alors les rois, les dieux, la chance et la victoire,
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et ce qui vaut bien mieux que les rois et la gloire,
Tu seras un homme, mon fils.

(version d'André Maurois, 1918)

       L’humour et la poésie sont certainement les deux genres les plus difficiles à traduire, l’humour à cause des références culturelles et des jeux de mots intraduisibles pour des raisons linguistiques, et la poésie en raison des multiples contraintes : sens, métrique, rime, voire accent tonique pour le rythme, bref, c’est presque mission impossible.

       C’est le vieux débat sans fin sur la traduction, “traduttore, traditore”, c’est-à-dire faut-il respecter la lettre ou l’esprit ? L’idéal inaccessible étant évidemment de respecter les deux, mais le traducteur aboutira toujours à un compromis - nécessairement imparfait... Une traduction trop littérale sera mauvaise parce que sans style et sans vie, et même illisible dans le cas des poèmes, alors qu’une traduction trop stylée pourra au final être jugée infidèle, une véritable réécriture.

       L’espéranto seul, par sa souplesse, peut permettre ce tour de force. (L’élision de la finale en -o des noms permet en outre de varier rime et accent tonique.)

Se… fare de Rudyard Kipling

Se vi konservas kapon en lucido,
dum la popolon regas jam panik',
se vi ne donas kaŭzon por malfido,
eĉ kiam ne plu kredas vin amik';
Se, malgraŭ laco, povas vi atendi,
rezisti al mensogo kaj malam',
ne cedi al despero, ne pretendi
je plaĉaspekto kaj saĝula fam';

Se vin obeas revoj - sed ne male,
se regas vi la pensojn en konsci',
se al Triumfo kaj Fiask' egale
rilatas vi sen troa emoci';
Se vian vorton oni hipokrite
transformas je kaptilo por stultul',
sed post frakas' de viaj faroj, spite,
obstine rekomencas vi de nul';

Se povas meti vi sur unu karton
la tutan havon, riske je bankrot',
kaj ĉion perdi, kaj reprovi starton,
sen diri vorton pri perdita lot';
Se via kor' kaj nervoj, malgraŭ trivo,
plu servas eĉ en stato de ruin',
kiam nenio restas por la vivo,
krom Volo, kiu diras: "Tenu vin!";

Se, parolante, vi kondutas inde,
kun Reĝoj ne forgesas pri popol',
kaj se vin oni fidas, sed ne blinde,
kaj ĉiuj sekvas vin - laŭ propra vol';
Se ĉiu hor' de via vivo plenas
per la impeta kuro sen humil',
al vi la tuta Tero apartenas,
kaj pli - vi estas Homo, mia fil'!

(Tradukis el la angla Valentin Melnikov)
La Ondo de Esperanto, 2000 (72)

       Sur ce débat sans fin "traduttore, tradittore", voici d'ailleurs une récente version française, bien plus fidèle, aimablement mise à disposition sur Internet par son auteur, traducteur de métier.

Si tu peux rester calme alors que tous tes proches
Semblent perdre la tête et vouloir t'en blâmer,
Si tu peux croire en toi face à tous leurs reproches
Mais comprendre leur doute et toujours les aimer ;
Si tu peux espérer sans te lasser d'attendre,
Si tu ne sais mentir à ceux qui t'ont menti,
Si celui qui te hait, tu ne peux le lui rendre,
Mais sans parler en Sage, ou sembler trop gentil ;

Si tu rêves - mais sans que ton rêve t'envoûte,
Si tu penses - mais non vers d'abstraites hauteurs,
Et si tu sais passer de Triomphe en Déroute
Sans te laisser berner par ces deux imposteurs ;
Si tu peux supporter qu'un vil faquin dévie
Le sens de tes propos pour abuser les sots,
Ou voir briser ton œuvre et, penché sur ta vie,
Avec de vieux outils assembler les morceaux ;

Si tu peux risquer tous tes gains à pile ou face,
Simple lot au hasard d'un seul coup suspendu,
Tout perdre, et repartir de tes débuts, sans place
En toi pour un soupir sur ton pari perdu ;
Si tu forces ton cœur, tes nerfs, tes tendons, même
Quand las de t'obéir ils s'en sont détournés,
Et si ta Volonté, résistance suprême
À ton vide total, leur dit toujours : « Tenez ! »

Si tu sais rester noble en parlant à la foule,
Si tu sais rester simple en côtoyant les rois,
Si pas plus que l'ami l'ennemi ne te foule,
Si tout homme t'est cher mais nul n'a trop de poids ;
Et si tu peux remplir la minute exigeante
De secondes valant la course que tu fis,
La Terre t'appartient et - leçon plus grisante :
- Tu seras un Homme, mon fils !

Traduction de Hervé-Thierry Sirvent (2003)