Il est trop
européen. Trop latin.
Son vocabulaire de
base peut effectivement sembler européen, tout simplement
parce que, pour des raisons historiques, l'étymologie
latine a essaimé dans le monde entier. Mais Zamenhof
a pris soin de choisir des racines qui se retrouvaient dans
plusieurs "grandes langues" (homo, frato, fiŝo,
pano, urbo - "homme", "frère",
"poisson", "pain", "ville"). Homo
= "homme", "hombre" (espagnol), "uomo"
(italien), "om" (roumain). L'anglais dit "man",
mais la racine existe également : "human",
"humanity", "humanist". L'allemand, le russe
et le polonais ont également des mots dérivant
de cette racine.
Par la suite, le
vocabulaire s'est largement étoffé, d'abord par les possibilités
combinatoires de l'espéranto, puis en introduisant d'autres
racines.
Il existe également
un groupe de mots que l'on croit latins et qui sont devenus
internationaux, plus ou moins modifiés selon la langue, la racine
restant reconnaissable : magnétophone, télévision, téléphone,
mathématique, coca-cola (je blague…) et tous les mots dérivés
d'Internet. Ce groupe de mots internationaux a évidemment été
intégré à l'espéranto qui, comme toute langue vivante, évolue
en permanence.
A ce propos, certains
espérantistes ont d’ailleurs suggéré qu’un groupe de pratiquants
asiatiques puisse proposer des racines de mots, à la condition
de choisir des racines communes à plusieurs langues d’Asie,
ce qui n’est peut-être pas simple.
On peut constater
sur les forums que des espérantistes asiatiques ont plusieurs
fois écrit ne pas être enthousiastes à cette idée, anticipant
la difficulté de trouver des racines communes au
chinois, au japonais, au vietnamien, au coréen et au thaïlandais (au minimum).
En outre, ils sont déjà obligés d’apprendre des racines "européennes"
en étudiant l’anglais ; à tout prendre, autant étudier une langue
régulière et rationnelle comme l’espéranto.
Une remarque en passant
sur cette critique récurrente que l’espéranto serait trop européen,
trop latin. Sans contester la sincérité d’une telle sollicitude,
n’y a-t-il pas là quelque condescendance ? « Les pauvres, c’est
si difficile pour eux… il faudrait leur ajouter un bout d’alphabet
pour leur faire plaisir, quelques racines qu’ils puissent comprendre
plus facilement. » Soit, je caricature, mais n’est-il pas plus
simple de demander leur avis aux intéressés ? Lesquels sont
assez grands pour se manifester, à l’heure où le réseau foisonne
de discussions. Dans la Russie d’avant Staline, l’espéranto
connaissait un vif succès, et personne n’a demandé que l’on
y introduise un peu d’alphabet cyrillique ou davantage de "racines
slaves". De nos jours, comme indiqué plus haut, on peut
constater qu’il n’existe aucune demande d’espérantistes asiatiques
pour l’introduction de racines qui leur soient propres.
L'espéranto est souple,
évolutif. L'usage décidera de son évolution future, comme pour
toute langue vivante, néanmoins certains espérantistes plaident
pour une utilisation maximale des racines de base de l’espéranto
et de ses possibilités de mots dérivés, afin de limiter l’arrivée
de trop nombreuses racines grecques ou latines, phénomène déjà
visible, qui le rend à la fois plus difficile et moins international.
Par exemple : plutôt que konversacii, utiliser kunparoli
(parler avec), mot composé des racines de base.
Toutefois, si ces
racines nouvelles ont été introduites, ce fut souvent par des
écrivains espérantistes afin de disposer de termes poétiques
: "vieux" se dit normalement maljuna, par le
préfixe mal- qui signifie "contraire", mais
disposer de la racine et de l'adjectif olda permet de
nuancer.
A noter que l’espéranto
que l’on peut lire sur des sites asiatiques est souvent plus
proche des bases.
Le lexique n'est
pas le seul élément à prendre en compte pour savoir s'il est
trop européen : il y a aussi la grammaire et la phonétique.
Or, là c'est net
: l'espéranto n'est pas une langue indo-européenne ! Les langues
indo-européennes sont flexionnelles, les mots subissent des
transformations selon leur rôle dans la phrase ; ce n'est pas
le cas de l'espéranto.
C'est une langue
agglutinante, c'est-à-dire constituée de radicaux et d'affixes
identifiables, comme le hongrois, le turc, le japonais, le coréen,
entre autres. C'est aussi une langue isolante, c'est-à-dire
faite d'éléments rigoureusement immuables qui se combinent entre
eux, comme le chinois et le vietnamien par exemple. (Zamenhof
n'a pas souligné ce fait, sans doute par prudence, conscient
que sa langue devait démarrer en Europe, et qu'à l'époque, l'Asie
c'était vraiment loin.)
La phonologie : elle
est la plus internationale possible.
Cinq sons vocaliques
(a, e, i, o, u) et des consonnes répandues sur toute la Terre.
Les sons existant
dans peu de langues sont absents : pas de diphtongues comme
en anglais, pas de "e" français (le son "eu"
est difficile pour les Russes, par exemple), le "r"
est roulé (le "r" grasseyé français n'est pas facile
pour certains pays), pas de gutturales, de vélaires, pas de
tons différents comme le chinois, ni de clics comme dans le
xhosa.
L'accent tonique
est fixe.
Chaque lettre se
prononce.
Ces choix phonétiques
sont les plus faciles à reconnaître à l'oreille et les plus
faciles à prononcer pour tous (c'est aussi le cas d'autres langues
: italien, malais, persan, tahitien).
Nota : il existe
différents systèmes de classification des langues, et le sujet
est loin de faire l'unanimité chez les linguistes.
Il serait sans doute
formidable qu’une langue internationale soit mise au point,
qui serait une synthèse des alphabets latins, cyrilliques et
autres, plus quelques idéogrammes, en respectant une relative
égalité entre Europe, Asie, Afrique et entre les groupes linguistiques,
mais il faudrait pour cela un génie connaissant deux ou trois
langues de chaque groupe – si tant est qu’une telle synthèse
soit possible. On peut sans trop de risques supposer que ce n’est
pas pour demain… A défaut d’une telle merveille, l’espéranto
reste la plus internationale des langues construites.
(Certains exemples
de ce chapitre ont été empruntés au livre du grammairien André
Cherpillod, L'espéranto, valeur culturelle, valeur pédagogique,
aux éditions de la Blanchetière.)
|