Quelques problèmes de la traduction

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Quelques problèmes de la traduction

Création de termes (vortfarado)

Quelques éléments de grammaire espéranto

Réponses à quelques lieux communs ou préjugés sur l'espéranto

Argumentaire plus détaillé

Citations sur l'espéranto


       Note : Ce chapitre, ajouté avec l'aimable accord de son auteur, est extrait de son livre :
"Lexique des termes scientifiques (mathématique, physique, informatique) français-espéranto, espéranto-français", Jacques Joguin (professeur agrégé dans l'enseignement secondaire, puis professeur dans l'enseignement technique supérieur à l'IUT de Grenoble, membre du Comité de l'Association internationale des scientifiques espérantophones), 2002, éditions L'Harmattan, 5-7 rue de l'Ecole Polytechnique, 75005 Paris

 I - ESPERANTO ET INTERNATIONALITÉ

A) LE LANGAGE SCIENTIFIQUE

       A cause de la complexité des problèmes qu'elle a abordés progressivement, la science, dès le début, s'est forgé un langage propre, essentiellement à base de racines grecques.

       Par ailleurs, la vision classique, linéaire, a entraîné un cloisonnement des disciplines. Chacune d'elles a alors créé son propre "jargon" et ce jargon, difficilement accessible aux autres sciences, a contribué à renforcer l'isolement des différentes branches.

       Mais cette vision des choses est de plus en plus battue en brèche. De nouvelles sciences sont apparues aux frontières entre les anciennes et leurs noms même traduisent bien cette évolution : géométrie algébrique, optoélectronique, chimie-physique...

       Par ailleurs, à cause du poids économique et politique des Etats-Unis, l'anglo-américain pénètre de plus en plus dans les sciences. Or, l'anglais n'est pas une langue neutre, comme le grec ancien ou le latin. Cela pose des problèmes qui ne manqueront pas de s'aiguiser dans l'avenir. Rien que pour cette raison, l'espéranto se doit, lui aussi, d'être de plus en plus présent sur le terrain scientifique.

B) LES PROBLÈMES GÉNÉRAUX DE LA TRADUCTION

1) Les moyens de la traduction

       La traduction d'un terme scientifique peut se faire en espéranto de deux façons :

- en le copiant par application de la fameuse règle 15 du Fundamento : bikonveksa, elektroniko, fiziko, integrita cirkvito, telefono...
- en créant un ou plusieurs termes équivalents, généralement composés, grâce à sa combinatoire. En effet, la richesse de cette combinatoire permet très souvent différentes approches :
       directif = unudirekta mais aussi faskoĵeta alors que directionnel(le) sera turnebla, direktebla...

       La première méthode, qui a permis un enrichissement considérable de l'espéranto depuis plus d'un siècle, est aussi très dangereuse car elle joue le rôle du cheval de Troie : en laissant les ambiguïtés, voire les incohérences, s'introduire dans la langue, elle risque de porter atteinte, progressivement, à son intégrité et sa spécificité.

       Cette facilité des emprunts soulève en effet un certain nombre de problèmes.

2) Les problèmes rencontrés

a) Conflit entre l'usage international et le génie propre de la langue

       Ce problème apparaît déjà dans le langage courant comme le montre l'exemple bien connu du mot hôpital dont les deux traductions (hospitalo et malsanulejo) sont également utilisées. Le problème se retrouve évidemment en science : etuvo et vaporbanejo - multipliki et obligi - fotometro et lummezurilo...

       On pourrait penser qu'en science, la non-reconnaissance officielle de l'espéranto au plan international, lui laisse la liberté de choix. En fait, cela n'est que partiellement vrai. Car une future reconnaissance est toujours possible. Or, sur ce plan, une première question se pose : l'espéranto peut-il se permettre de proposer un terme qui lui soit propre en lieu et place d'un terme utilisé internationalement ? La réponse dépend de très nombreux facteurs. Si le terme ne contrevient pas aux règles de la formation des mots en espéranto et s'il est vraiment très usuel, il vaut mieux l'accepter. Ainsi, on préférera sans doute antiprotono (antiproton) plutôt que kontraŭprotono. En revanche, traduire "bistable" par "bistabla" est impossible puisque stabila existe. Certains ont donc proposé "dustabila". Mais ce terme ne convient pas parce qu'il ne respecte pas les règles de la formation des mots, le radical stabil étant qualificatif (c'est à dire de type adjectif : PAR) (1). On peut alors penser à "dustabilstata" [= (du stabilaj statoj)-a = à deux états stables] mais le mot obtenu est long. D'où la traduction adoptée dans le lexique : dustata [= (du statoj)-a = à 2 états]. Il en est de même pour "dipôle", souvent traduit par dupoluso, car le composé dupolusa (dipolaire) étant ternaire, il serait bon que son correspondant substantif le soit également si on veut éviter d'éventuels problèmes d'où : dupolusaĵo (= aĵo kun 2 polusoj) bien que dupoluso puisse se lire (du polusoj)-o.

       Comme il a été dit plus haut, certains termes internationaux, issus des langues ethniques, introduisent des ambiguïtés et des incohérences dans le système international. Par exemple, le terme "terminologie" lui-même a deux sens très différents : d'une part il désigne la science en question, d'autre part, l'ensemble des termes propres à une spécialité. Or, la polysémie est une des raisons des ambiguïtés. C'est pourquoi elle est fortement déconseillée pour les termes scientifiques par certains organismes de normalisation comme INFOTERM. Les deux acceptions de "terminology" ont donc posé des problèmes à l'ISO qui est parti de l'anglais (voir la recommandation R 1087). Que propose l'espéranto dans ce cas ? Le premier sens est souvent traduit par terminologio mais, vu les deux sens du terme international, il vaudrait mieux utiliser terminiko. Quant au second, il est traduit par terminaro ou termino-provizo ou termino-kolekto.

       D'autres ambiguïtés ou insuffisances proviennent de l'utilisation du latin comme en botanique ou zoologie.

       Enfin, pour les raisons qu'on vient d'évoquer, il est de plus en plus proposé que certains termes d'origine anglaise disparaissent bien qu'ayant été introduits dans le PIV ou son supplément. C'est le cas de diĝita (PIVS) qui peut être remplacé par cifereca, de hardvaro (PIVS) qui peut l'être par aparataro... Ces termes ont été maintenus dans le lexique mais disparaîtront probablement dans une édition ultérieure : baĉo, ĉipo, diĝito, drajvo, epromo, dezajno, initi, komputero, promo, prompto, romo, seti... Dans le lexique, ces termes sont suivis de (evi).

       Doit-on voir là la simple manifestation du conflit amorcé entre les deux langues ? Le problème, en fait, va bien au-delà. En effet, l'anglais est une langue ayant un vocabulaire très riche mais cette richesse porte sur les mots de base, les racines. D'où une grande difficulté d'apprentissage par surcharge de la mémoire. Le vocabulaire de l'espéranto est, lui aussi, très riche mais l'espéranto a peu de racines (une vingtaine de milliers). La richesse, dans son cas, provient de sa combinatoire : en moyenne, on peut faire une bonne dizaine de mots par racine. Cela donne un total de 200 à 250 000 mots, ce qui est considérable ! Le traitement de texte tout espéranto "ĉapelilo" possède un correcteur orthographique capable de contrôler 250 000 mots. De plus, l'espéranto cherche à ne pas multiplier, justement, le nombre de ses mots de base afin que la langue reste d'accès facile.

       Cela est d'autant plus important que l'espéranto construit ses mots composés en donnant un rôle central au substantif. Or, la richesse du vocabulaire anglais prend également appui sur le substantif : Les cultures occidentales "pragmatiques et efficaces, sont plus ou moins orientées vers la production de noms... l'anglais est, dans ce domaine, tout à fait remarquable et se caractérise par la richesse exceptionnelle de son vocabulaire" (2)

       La conséquence est évidente : il faut absolument éviter de multiplier le nombre de racines par une utilisation abusive de la règle 15 du Fundamento et utiliser au maximum la combinatoire de la langue.

       Exemple : Certains, partant du constat que les termes techniques viennent aujourd'hui, essentiellement, de l'anglais, proposent d'espérantiser directement le terme anglais. Prenons le mot "slot" (fente, rainure). On peut de suite en tirer le mot sloto. Mais que met-on dans les "slots" des ordinateurs ? Des cartes électroniques additionnelles (extension mémoire, carte son, carte pour la souris...). Alors, pourquoi ne pas dire : kartfendo ou kartfoldo ou, mieux, kartingo ?

       Il en est de même pour le mot " bootstrap" (V. montage). Or, en français, on dit volontiers "circuit bootstrap". Pourquoi ne pas faire de même en espéranto (la cirkvito "bootstrap") ? Ou bien utiliser un mot composé (enigpliboniga) traduisant la signification du terme.

       Enfin, on trouve le terme atomizi qui traduit directement le terme français "atomiser". Or, la signification de ce terme serait mieux rendue par disatomigi. D'autant que le suffixe "iz" n'a pas du tout le sens de dispersion qui est rendu par le préfixe "dis". On a là un exemple de traduction par simple "copiage" qui conduit à étendre le sens d'un suffixe existant. Or, cette extension peut d'autant plus être évitée que la langue possède les moyens de résoudre le problème !

b) Imprécisions fréquentes du langage international

       Le langage scientifique, malgré sa spécificité, est parfois ambigu. Or, justement, l'espéranto, grâce à sa combinatoire, est une langue très précise :

       * Un exemple typique est le terme "thermique" dont la traduction immédiate est évidemment termika. Se contenter de cette seule traduction est insatisfaisant car ce terme recouvre en fait des notions très différentes :

       - un "bouclier thermique" est un revêtement "contre" la chaleur (à rapprocher de anticalorique). D'où le terme kontraŭvarma ŝildo [= (kontraŭ la varmo)-a ŝildo]. De même avec "barrière thermique".
       - au contraire, dans "agitation thermique, bruit thermique, emballement thermique...", l'adjectif thermique désigne la "cause" de l'agitation, du bruit... D'où la traduction provarma [ = (pro la varmo)-a].
       - et les termes "imprimante thermique, traitement thermique... " indiquent que la chaleur est le "moyen" utilisé pour imprimer, traiter... D'où la traduction pervarma [= (per la varmo)-a].

       Dans tous ces cas, si l'on cherche la précision, il sera préférable d'utiliser le terme purement espéranto.

       Un autre exemple est l'adjectif "électronique" qui signifie "relatif aux électrons" dans "couche électronique" ou "relatif à l'électronique" dans "voltmètre électronique". Dans le premier cas, c'est le terme elektrona qui convient alors que le second appelle le terme elektronika.

       Mais les deux aspects sont quelquefois conciliables : ainsi, la traduction du terme "cristal liquide" ne saurait être likva kristalo (même si l'anglais dit, comme le français, "liquid crystal") puisque certains cristaux "liquides" peuvent ne pas être liquides (un savon par exemple). De plus, même s'ils le sont, ils conservent certaines propriétés du cristal. D'où le terme likveca qui signifie "ayant (certaines) des propriétés d'un liquide".

       * Autres exemples : les termes qu'on peut appeler "trompeurs" (misgvidaj) :

       Par exemple, le terme "distribution normale" en probabilité sous-entend qu'il y a des distributions anormales ! Le terme normala est donc à éviter. On peut utiliser plejofta, kutima et surtout Gaŭsa puisqu'il s'agit d'une distribution gaussienne.

       A ce type peuvent se rattacher les termes qui s'appuient sur des analogies (de forme par exemple) et font appel à des objets ou coutumes propres à un pays ou une époque : une courbe "en chapeau de gendarme" fait référence à des couvre-chefs qui n'existent plus en France (sinon dans le guignol lyonnais !) et de toute façon ont peu de chance d'exister partout dans le monde. Il en est de même pour "courbe en cloche" : une simple clarine n'a pas du tout la forme de la courbe de Gauss. Il vaut mieux ici prendre le terme anglais (probability curve) et traduire par probablokurbo. En revanche, l'image contenue dans nubo de elektronoj ou nubforma elektronaro (nuage d'électrons) peut être comprise par tout le monde.

       De la même façon, la "vision du monde" d'un peuple n'est pas forcément celle d'un autre : une lampe-témoin en français est une lampe qui témoigne que tel appareil fonctionne. En Eo, on utilise donc un terme moins "juridique" : kontrollampo.

c) Les contraintes de l'espéranto

       Enfin, l'espéranto étant très proche des langues agglutinantes ou isolantes, ses termes de base doivent être les plus courts possible pour permettre les éventuelles combinaisons ultérieures. C'est ainsi que la terminaison "ique" de beaucoup d'adjectifs, terminaison qui vient du grec, n'est souvent pas reprise : akromata, elasta, elektrolita, magneta, metamorfa, perioda... Mais cela n'est pas toujours possible, notamment quand les termes plus courts existent déjà avec d'autres sens : dinamika, statika, termika...

       De plus, cela permet d'utiliser le suffixe "ik" pour désigner une science : glaciiko (glaciologie), varmiko (la thermique), energetiko, povumiko...

       Utiliser terma au lieu de termika pose immédiatement problème puisque termo est un terme mathématique. Cette remarque dépasse très largement les contraintes dont il est question ici puisqu'elle rejoint celles vues plus haut en B2a.

3) Conséquence

       Dans de nombreux cas, on trouvera donc dans le lexique, à côté du terme international, un ou plusieurs termes purement espéranto.

4) Remarque

       Les exemples précédents montrent que la traduction n'est pas chose aisée. Ils ne permettent pas d'éviter les erreurs que l'on rencontre parfois :

- traduire "débrancher" par debranĉigi est tout à fait incorrect car debranĉigi peut s'interpréter comme 'mettre (igi) une branche (branĉ) à partir de (de)', autrement dit "se repiquer sur", "placer une dérivation"... c'est-à-dire tout le contraire de débrancher !
       "dé" ou "des" en français indique souvent le contraire, ce que l'Eo rend par "mal" : malkonekti, malŝalti (déconnecter).
- de même, traduire "énergie au repos" ou "masse au repos" par restenergio ou restmaso montre que, dans ce cas, l'anglais a fortement déteint sur l'espéranto pour lequel resto = le reste et non le repos (ripozo).

       Cela dit, il peut être intéressant, quand une traduction pose problème, de consulter un dictionnaire multilingue (par exemple, le "Dictionnaire européen des Techniques" en 5 langues des éditions Foucher), mais un tel dictionnaire présente pourtant un inconvénient : il ne fait appel qu'à des langues indo-européennes.

II - UTILISATION DE LA COMBINATOIRE DE L'ESPERANTO

A) TRADICTION D'EMBOÎTEMENTS SUCCESSIFS

1) Quelques exemples

       Cette combinatoire, dont on a vu des exemples plus haut à propos du mot "thermique", permet souvent d'alléger certaines expressions faisant intervenir une suite de compléments :
       expérience de la gouttelette d'huile de Millikan = Millikan-eksperimento pri (la) oleoguteto

       Cet exemple fait intervenir la composition. Mais on peut aussi utiliser l'adjectif :
       loi de la conservation de la quantité de mouvement = leĝo pri (la) movkvanta konserviĝo
       loi de l'attraction universelle de Newton = leĝo de Neŭtono (ou Neŭtona leĝo) pri la universala altiro

       Remarquons que cette traduction résout, en même temps, une ambiguïté syntaxique du français : "de Newton" se rapporte-t-il à "attraction" ou à "loi" ? L'ambiguïté est bien réelle car, si on retrouve le même type de relation dans "loi de distribution des vitesses de Maxwell", la relation est différente dans l'exemple qui suit :
       production de signaux puisés de haute fréquence = produktado de impulsaj altfrekvencaj signaloj (ou ...de impulsaj signaloj altfrekvencaj)

       Remarquons encore que cette ambiguïté est également fréquente en anglais et pose souvent de graves problèmes de traduction (voir l'exemple de l'OACI donné par Claude Piron dans "Le Défi des langues") (3).

       Beaucoup de ces ambiguïtés, non résolues par la langue, ne le sont que par le contexte, un accent particulier (une pause bien placée par exemple) ou par la culture sous-jacente. L'espéranto, lui, les résout syntaxiquement.

2) Conséquence : Quelques règles pour traduire certaines expressions

       Exemple des expressions formées à partir des termes "loi", "principe", "théorème", "relation"... :

       a) Loi de (nom de savant)... : leĝo de (nomo) ou (nomo)-leĝo ou (nomo)-a leĝo :
leĝo de Bode ou Bode-leĝo - leĝo de Kuri ou Kuri-leĝo - Daltona leĝo - Lorentza rilato...

       b) Loi de (objet de la loi) :
leĝo pri (ou "de" s'il n'y a pas d'ambiguité) :
loi de la réfraction = leĝo pri (ou de ici) la refrakto

       c) Loi de (nom) de (ou sur) (objet) (ou l'inverse) :
leĝo de (nomo) pri... :
loi de la gravitation universelle de Newton = leĝo de Neŭtono pri la universala gravito

       d) Loi de (objet) de (complément) :
leĝo pri... de ... ou pri ...-a ...-o ou composition : ...-o...-o :
leĝo pri konserviĝo de (la mekanika) energio aŭ pri energia konserviĝo

B) SENS DES RADICAUX ET PREFIXATION DES PREPOSITIONS

       Beaucoup de mots composés font intervenir des prépositions. Ces composés peuvent se comprendre de deux façons :

       - une première raison qu'on peut appeler "sémantique" parce que la préposition est absolument nécessaire au sens.

       Prenons un premier exemple :
câble de liaison - énergie de liaison - capacité de liaison

       On a l'impression que ces 3 expressions ont la même structure.

       Or, il n'en est rien : dans le premier cas, c'est le câble qui relie.

       Et comme la plupart des radicaux évènementiels (c'est-à-dire de type verbal : PAR) ont, ce qui est normal, un sens actif qui se conserve quand on leur ajoute la terminaison adjectivale (-a) :
       montra fingro = doigt qui montre (= index) on voit que liga kablo (câble qui relie) suffit à traduire l'expression.

       Mais il n'est pas possible de traduire la seconde par liga energio car dans toutes les réactions exothermiques de la chimie, l'énergie dégagée ne sert en aucune façon à réaliser la liaison qui fait intervenir des forces quantiques d'échange. La chaleur dégagée (l'énergie) mesure la diminution d'énergie (interne) consécutive à la liaison, elle est une conséquence de la liaison, elle accompagne la liaison d'où les traductions possibles : (kunliga, proliga, ligdevena) energio.

       Quant à la troisième expression, elle doit se traduire de deux façons différentes selon que le condensateur a été volontairement placé pour faire la liaison (cas du condensateur de liaison entre deux étages d'amplificateur) ou que la capacité résulte du fait que la liaison produit un "effet de capacité" (entre l'entrée et la sortie d'un montage électronique par exemple).

       Dans le premier cas, on traduira donc par liga kondensatoro et dans le second par kunliga ou proliga. Le même problème se pose si on cherche à traduire par kuniga ou kuniĝa.

       - seconde raison ou raison syntaxique.

       Dans l'expression senkuraĝa viro, le composé doit s'analyser sous la forme (sen kuraĝo)-a viro (un homme sans courage). Or, kuraĝ est un radical qualificatif (de type adjectival). Donc, la préposition donne à kuraĝ la forme substantivale parce que, en espéranto, une préposition gouverne un nom, jamais un adjectif. (Il s'agit ici de la notion grammaticale de "composition inverse" : VEI = Vort Efiko Inversa) (4)

       Prenons alors un autre exemple :
capteur de position - capteur de vitesse - capteur de pression

       Il n'y a pas ici de différence de sens : dans les 3 cas, une grandeur physique est mesurée.

       Mais :

pozici(o) est un radical nominal (de type "substantif)
rapid(a) est un radical qualificatif
prem(i) est un radical évènementiel

       Conséquence :
pozicia detektilo traduit bien le premier terme.

       Mais rapida detektilo signifie "capteur rapide", ce qui n'a rien à voir avec "capteur de vitesse".

       Enfin, prema detektilo signifie "capteur qui comprime, qui appuie"...

Comment résoudre le problème ?

       Il est absolument nécessaire d'introduire un "substantif" (vitesse et pression sont des substantifs).

       On peut utiliser la composition en écrivant rapidodetektilo ou écrire simplement detektilo pri (ou de) rapido. Mais on peut aussi conserver l'adjectif en se servant de VEI c'est à dire en introduisant une préposition :

prirapida = (pri la rapido)-a ou laŭrapida = (laŭ la rapido)-a
et de même : laŭprema = (laŭ la premo)-a

Ce problème intervient très fréquemment :

       * réseau (ou arbre, courroie, roue, système...) de transmission (transmisia reto, ŝafto...) et "rapport de transmission" (pritransmisia rilatumo). En revanche, on traduira "temps de transmission" par transsenda tempo parce que transsenda fait déjà intervenir la préposition trans sous la forme transa (transsenda = (transa sendo)-a) ce qui n'est pas le cas de transmisia (radical transmisi/).

       * courbe de sortie (ou d'entrée) et tension de sortie (ou d'entrée) : la courbe ne sort pas (elira est donc impossible d'où prielira) alors que la tension sort (elira tensio est donc correct).

       * brouillard de rayonnement ne peut se traduire par radiada nebulo car le brouillard ne rayonne pas mais trouve son origine dans le rayonnement de la Terre qui, à cause de l'absence de nuages, a entraîné une baisse de température. On traduira donc par proradiada nebulo.

       * et de même pour coefficient (ou indice) d'atténuation, bande (ou raie) d'absorption, bande de conduction, rayonnement de freinage...

       Exemple : sorba papero = papier buvard (= qui absorbe); donc sorba bendo est impossible...

C) SENS ACTIF OU NON-ACTIF

       On vient de voir qu'un radical évènementiel suivi de la finale "a" donne souvent un sens actif :
       flosa korpo = corps flottant
       konserviĝa flukso = flux conservatif (qui se conserve)...

       A contrario, un radical qualificatif ou nominal (PAR) ne peut donner un sens actif. Si on veut faire apparaître ce sens, il suffit d'ajouter le suffixe "iv" qui indique une possibilité active (qui peut) alors que le suffixe "ebl" indique seulement une possibilité passive (qu'on peut) :
       turnebla anteno = antenne directionnelle
       asociiva memoro = mémoire associative
       koloriva ekrano = écran couleur

       A l'inverse, si on ne veut pas faire apparaître le sens actif d'un radical verbal, il faut utiliser d'autres traductions (Paragraphe précédent).

D) QUANTITE D'INFORMATION VEHICULEE PAR LES MOTS OU EXPRESSIONS

       La combinatoire de l'espéranto peut servir à améliorer la quantité d'information véhiculée par les termes scientifiques. Les exemples vus en IB2b sont, de ce point de vue, particulièrement significatifs. Or, on peut atteindre ce résultat très fréquemment grâce à la composition et à l'emploi d'expressions adjectivales. En voici quelques exemples :

* metodo de minimuma kvadratsumo renseigne mieux sur la méthode des moindres carrés que metodo de la plej malgrandaj kvadratoj (OR)
* ortasimptota hiperbolo décrit mieux ce qui caractérise ce type d'hyperbole que hyperbole équilatère trop proche de triangle équilatéral.

       Or, ortasimptota est un type de composé très fréquent (Voir "Par").

       Les composés espéranto sont souvent difficiles à traduire justement parce que la quantité d'information véhiculée par le terme est trop importante et ne peut se rendre en français, langue analytique, que par un groupe de mots. Ainsi, disfalema vient de disfali qui signifie "tomber en morceaux", "s'écrouler", "se disloquer", "se désintégrer". Disfalema signifie donc "qui a tendance à se disloquer, à se désagréger". Si on veut un seul mot, périssable ou instable peuvent convenir mais ces termes ne rendent pas la totalité du sens.

       Inversement, le caractère synthétique de l'espéranto peut présenter des inconvénients :

       - soit parce qu'un même composé peut être traduit par des termes très différents : angulmezurilo peut se lire comme "rapporteur" ou comme "goniomètre". Cela peut entraîner des ambiguïtés et justifie l'existence de doublets (goniomètre).

       - soit parce que trop d'informations est souvent synonyme de mot trop long. Et, pour réduire le terme, on est amené à ne retenir qu'un aspect du phénomène ou de l'objet. Or, dans ce cas, chaque auteur préférera ce qui, pour lui, semble le plus important. D'où des mots très différents pour traduire une même notion : directif, malléable, maintenance, potence...

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       1. "PAR" renvoie au terme PAR de la bibliographie.
       2. Bénédicte de Boysson-Bardies - Directeur de recherches au CNRS : Laboratoire de psychologie expérimentale - Paris V - Ecole pratique des Hautes Etudes.
       3. "Le défi des langues" - Claude Piron - Editions L'Harmattan - 1994 16
       4. "Plena Analiza Gramatiko" - G. Waringhien et K. Kalocsay - UEA - Rotterdam - 1980 ou Parlons espéranto - J. Joguin - L'Harmattan - 1998